Vous avez oublié que vous n’êtes une personne que lorsque vous n’êtes pas avec un client ou un protecteur, mais qu’avec eux vous êtes un objet. Les objets n’ont pas d’émotions et doivent être soigneusement entretenus si on veut les garder en bon état. Vous l’aviez oublié, Priscilla ?
— Sans doute.
— Et j’imagine que vous aviez également oublié que votre protecteur n’est en aucun cas une personne, lui non plus, ni quelqu’un que vous pourriez avoir envie de connaître mieux, mais simplement une créature de sexe masculin dont il faut satisfaire les appétits.
La capacité de l’être humain à affronter l’adversité et à continuer à vivre alors que tout semblait perdu l’étonnerait toujours.
Je ne connais rien à la mode. Selon moi, la mode ne sert qu’à pousser les dames à faire des achats, et les messieurs aussi, en l’occurrence.
Pourquoi une femme qui se promène seule serait-elle nécessairement à vendre ?
C’était l’ennui avec les femmes, elles avaient le don de vous faire faire des choses que vous n’aviez jamais eu l’intention de faire sans que vous sachiez comment c’était arrivé.
Il n’aimait pas se promener avec de jeunes personnes, c’était trop dangereux. On risquait toujours de se voir entraîné beaucoup plus loin que prévu.
Il n’avait aucune des caractéristiques de l’homme idéal tel que le rêvent les jeunes filles, mais il lui plaisait. À ses yeux, il était beau. Elle lui tendit les bras et se prépara à l’accueillir en elle.
— ... Elles aiment posséder. Elles prétendent avoir des sentiments, or tout ce qui les intéresse, c’est leur confort. Ce sont des manipulatrices habiles. Fais-leur confiance et tu es perdu.
— Elles aiment tout régenter, c’est vrai. Il suffit de regarder ma mère et mes sœurs. En général, toutefois, cela part d’un bon sentiment. Elles ont tendance à vouloir faire le bonheur des hommes sans jamais leur demander leur avis. Il n’y a là aucune malveillance chez la plupart.
Mes filles sont libres de s’en aller quand elles le souhaitent. La plupart n’en ont jamais eu envie, parce que je veille sur elles. Elles sont infiniment mieux ici que sur le trottoir.
Elle n’usait pas de ruses – de ruses sexuelles, s’entend. Bien sûr, l’accueillir chaque fois comme s’il était le seul homme dans sa vie et la seule personne qui comptait à ses yeux était une ruse. Il y avait toutefois chez Prissy un éclat, une chaleur qui vous faisaient oublier qu’elle n’était qu’une prostituée qui faisait son métier, même si on savait parfaitement à quoi s’en tenir.
Non pas qu’il cherchât quoi que ce soit d’autre. Il ne voulait surtout pas de lien de quelque sorte que ce soit. S’il rendait si souvent visite à Prissy, c’était parce qu’elle était douée au lit. C’était la seule qui ait jamais fait exactement ce qu’il lui demandait. Toutes celles qui l’avaient précédée n’avaient apparemment jamais pu se mettre dans la tête que ses préférences sexuelles étaient on ne peut plus classiques.
Ayant une bonne nature et un grand sens pratique, elle avait fini par s’adapter et rendre cette vie tolérable. Elle travaillait trois heures par jour tout au plus, ce qu’elle avait appris à apprécier. Pendant ces trois heures, elle s’efforçait donc de mettre en pratique tout ce qu’elle avait appris pour faire du bon travail. Elle était fière d’offrir à ses clients ce plaisir qu’ils payaient un bon prix. Elle s’enorgueillissait aussi de travailler autant que les autres filles, même si personne n’ignorait qu’elle était la préférée de Mlle Blythe.
Elle se rendait compte que c’était là un avantage. La patronne lui choisissait personnellement tous ses clients, elle le savait. Les autres pensionnaires avaient raconté à Priscilla des histoires qui l’avaient bouleversée, même si toutes admettaient qu’elles n’avaient eu à endurer les mêmes sévices deux fois du même client. Mlle Blythe tenait vraiment sa maison d’une main de fer.