J'écris plus facilement sur le sexe que sur n'importe quoi d'autre, explique t'elle. Nous sommes tous des enfants du sexe. C'est une expérience transformatrice, radicale, bouleversante. Le sexe, y compris quand je le vis, est rempli d'odeurs, de saveurs, de mots. L'écriture s'en emplit à son tour. J'utilise peu d'images pour l'évoquer mais elles sont choisies.
Et cela arrive. Cela qui n’a rien à voir avec ma vie, ni avec le périmètre kilométrique de vie censé me protéger des lois gravées dans le marbre, intemporelles, celles qui défient la contingence. Cela arrive à la maison comme un invité mortel. Inattendu et funeste. La maladie qui ne frappait que les autres. Je veux un enfant, dit Samsa, un enfant à nous. À toi. Elle le dit et je ne sens rien, comme si j’avais avalé de l’arsenic.
(p.41)
Elle n’aime pas mon nom et elle m’en invente un. Elle dit que je ressemble aux gros rochers solitaires du Sud de la Patagonie, des chutes du monde, en surplus, abandonnées après la création, isolées, exposées à tout vent. Nul ne sait d'où elles viennent. Elles-mêmes ne comprennent pas pourquoi elles ne s'érodent pas et pourquoi elles sont là. Je lui dis que j'ai vu des pierres semblables au milieu de la mer. les bateaux les contournent en silence, comme s'ils craignaient la présence d'un être mythologique prêt à se dresser et à attaquer. Elles ne sont pas toujours isolées, parfois il y en a d'autres à faible distance. Elles peuvent m^me former des labyrinthes où il vaut mieux ne pas s'aventurer. Samsa lâche ses cheveux et me balaye le front, les cils, le cou. Elle m’appelle Boulder et nous rions sans trop savoir pourquoi. Je suppose que l'amour fleurit sur nous comme une branche géante qui se courbe et touche les plis sensibles, réticents.
(pp.22-23)
Je la regarde et je chavire, bien qu’elle soit suédoise et touche le salaire souillé de sang d’une multinationale. Je la regarde et elle remplit tout l’espace. Mon regard est une corde qui l’entoure et l’amène vers moi. Elle lève les yeux, elle me trouve. Elle sait.
(p.20)
Je pense à elle tout le temps. Mon corps ressemble au laboratoire où se concocte la pierre définitive, sa lumière est une possibilité parmi des millions et elle m'obsède. Préparer la nourriture me demande une énorme concentration. J'achète un livre de cuisine grecque dans une librairie d'occasion à Puerto Montt. Des épices, des légumes frais, du fromage, un agneau. Des ancres minuscules avec lesquelles j'arrime ma tête au sol. Je cuisine la porte fermée, comme ces génies qui vous forcent à être patient. En réalité, je suis droguée. Samsa coule dans mes veines. Mes doigts la pénètrent quand je vide l'agneau. trois mois pendant lesquels nous entrons dans les eaux péruviennes. Nous naviguons plus loin que jamais, comme si nous nous enfuyions. Pas un appel, pas un message. Rien. Houmous, moussaka et un baklava d'une grande difficulté que j'arrose de pisco et de miel. le capitaine me félicite. Je ne sais pas ce que je pourrais faire de plus de mes mains.
(p.21)