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Critique de ithaque


Après la caille japonaise, l'auteur, zoologue de formation et neurobiologiste, s'en va tâter du cerveau humain ; en fin de compte, d'un point de vue basique( notamment le fameux cerveau « reptilien » commun à tant d'espèces), le plan de vol serait le même, à la louche, entre la tourterelle rieuse et nous. Beaucoup de structures, de localisations et de processus communs, en particulier sur la sexualisation des êtres. Normal, dit-il : la transmission des gènes est le gros sujet de tout ce qui vit, et la nature surveille de près les opérations, pas trop de fantaisie .
Beaucoup de questions abordées par le côté spiritualiste (spirituel/culturel/psychologique) trouvent un grand intérêt à être revues par ce biais biologique de continuité animal/homme, c'est le sujet de l'auteur et il est convaincant.
Parler de bases biologiques, notamment pour une différence cerveau masculin/cerveau féminin, ça ne se fait pas tout seul, et encore moins en France. Beaucoup de résistances au pays des Droits de l'Homme, ça coince, car autant tout le monde est d'accord pour accepter que la couleur des yeux soit héréditaire, autant, dire qu'il y a deux cerveaux, ça ne passe plus ; résistances au nom de l'égalité, au nom du libre arbitre, au nom du tout-éducatif, pour des motifs louables mais qui n'ont pas forcément lieu d'être. Egal ne veut pas dire identique. La neurobiologie n'exclut pas le rôle de l'éducation et du social, elle dit juste que c'est un paramètre supplémentaire, mais sur des bases biologiques. Culture et nature ne s'opposent pas, elles coexistent, s'entremêlent, mais il faut tenir compte des données scientifiques, avec des constantes inter-espèces.

Globalement, ce que Jacques Baltazart défend c'est que la science offre suffisamment de matière pour donner des bases biologiques à des notions comme l'autisme ou l'homosexualité et de ce fait annuler la culpabilisation des parents ou des individus. [Quand on pense au massacre que des années de psychanalyse sauvage ont pu faire sur les parents (surtout les mères, merveilleuses coupables), ce n'est pas dommage]. C'est une libération de la « faute », un allègement. Et son livre m'a paru extrêmement intéressant pour cette notion libératoire qu'il met en avant.

Une des autres conséquences tient à la médecine : les médicaments seraient essentiellement mis à l'étude sur des hommes, pour éviter les fluctuations du cycle hormonal de la femme ; or, on se rend compte après coup que les effets secondaires négatifs de certains médicaments se font majoritairement au détriment des femmes ; en y regardant de plus près, on se rend donc compte que les femmes ont des besoins différents en dosage et en heures de prise. D'où la nécessité d'une médecine différenciée.


Le cerveau initial serait féminin ,c'est la testostérone qui le dé-féminise. Cette hormone masculinise le cerveau in utero (rôle organisationnel) pour le rendre réceptif plus tard (rôle activateur, comme un bouton marche/arrêt). Un processus très net chez le rat par exemple, la testostérone déclenche un pic les 2 semaines précédant et suivant la naissance. Ce qui aboutit à des différences anatomiques identifiables (par exemple un noyau plus gros dans telle zone du cerveau chez les oiseaux mâles et qui nous permet de prédire qu'ils vocaliseront beaucoup plus que les femelles).

Le rôle des hormones est aussi très bien mis en valeur chez les campagnols : il y a ceux des montagnes, polygames, et ceux des campagnes, monogames, fidèles, tactiles ; pas de mystère, ce sont 2 hormones qui gèrent leur « sentimentalisme » ou son absence : chez le campagnol des campagnes les taux de certaines hormones sont beaucoup plus élevés (ocytocine chez la femelle et vasopressine chez le mâle) ; on peut d'ailleurs faire varier ces comportements en faisant varier les taux hormonaux.
La différence innée masculin/féminin est visible chez les jeunes primates : les chimpanzés mâles privilégient les jouets qui roulent ou qui tapent, alors que les femelles vont plus spontanément prendre des « poupées » ! Difficile de faire intervenir ici la pression sociale.

Pas de révélation fracassante sur les différences homme/femme, il confirme une meilleure spatialisation des hommes et une meilleure aptitude au langage chez la femme. [Bon, les taquineries sur la route des vacances ont encore de beaux jours devant elles !].Ce n'est pas sur un mode binaire tyrannique, ce sont plutôt des tendances. Sur le plan social, l'auteur s'interroge sur l'impératif de parité absolue. Les femmes, qu'on sait sous-représentées dans les postes à haute responsabilité ou en politique (dans les relations de pouvoir en gros), sont-elles juste bridées socialement ou n'ont-elles pas juste MOINS envie que les hommes de s'investir plus dans un travail ce qui entraîne MOINS dans leur vie affective ? Intéressant : dans les pays les plus égalitaires de longue date (Norvège/Suède), où tout est fait pour que chacun ait le choix, les femmes continuent de s'investir plus dans leur vie de famille et les hommes plus dans leur vie professionnelle. [L'erreur serait de généraliser, ça ne veut pas dire qu'aucune femme ne puisse se passionner pour la politique ou qu'un homme ne puisse pas préférer rentrer rigoler avec ses enfants que se taper une réunion jusqu'à 21h. Mais que les hommes et les femmes soient attirés par des choses parfois différentes, et cela de façon innée, ça ne pose pas forcément un problème éthique. Et ce ne serait pas forcément idéal que la société formate des individus totalement unisexes ; chacun peut avoir des envies différentes sans que ça lèse qui que ce soit ].

L'auteur aborde aussi la notion d'épigénétique, c'est-à-dire l'influence de l'environnement, qui va activer l'expression de certains gènes (sans les modifier) et qui peut entraîner une transmission héréditaire sur les générations suivantes.

Il évoque aussi Richard Dawkinsle gène égoïste ») pour qui on se trompe de perspective : la véritable échelle de la vie, ce sont les cellules. En gros, nous ne sommes que les moyens de transport et de dissémination de nos gamètes, qui sont le coeur du vivant. Des bons plans pour des scénarios de sf !

Jacques Balthazart n'est pas un gourou, pas de certitudes assénées, mais des convergences scientifiques bien étayées (en tout cas à mes yeux de profane) et toujours entourées de prudence dans leur interprétation. Son livre fait la part belle à l'épistémologie : comment la science avance, avec tous ses tâtonnements et ses incertitudes à lever. Il insiste notamment sur la complexité de l'interaction des facteurs. Il prend l'exemple du lancer de dés : cela nous paraît l'image même de l'aléatoire alors qu'en totalisant l'ensemble des paramètres (force du lancer, rugosité de la surface de réception, etc ) on pourrait prédire le résultat. C'est un entremêlement très complexe, et s'agissant du cerveau, c'est la même chose, il y a de multiples facteurs qui viennent interagir et qui nous échappent encore largement.

Il essaie autant que possible de rester accessible, il faut néanmoins avouer que sans culture scientifique il y a quelques passages accroche-toi-Jeannot , mais on n'est jamais largué non plus, on apprend beaucoup de choses et on a de la matière pour de nombreuses questions sur l'individu et la société!

Merci à Babelio et aux éditions Humensciences.
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