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Critique de jullius


Longtemps je me suis cru lecteur. J'affichais à mon tableau d'honneur le Père Goriot dès 12 ans ; et j'avais su l'aimer. Je le relus, plus tard, et l'aimai tout pareil. De la Comédie humaine je n'avais pourtant perçu que quelques pièces dans ma jeunesse : une Eugénie Grandet, un Chef-d'oeuvre inconnu, tout au plus, sans savoir qu'elles formaient des étages et bien plus : un monument. Aussi ai-je pensé, après avoir une nouvelle fois franchi la grande et belle entrée du Père Goriot en ces semaines d'assignation à résidence, que je pourrais peut-être m'aventurer plus avant, et plus méthodiquement, monter quelques marches et visiter quelques salles. Bien m'en a pris.
Après avoir été subjugué par les ors, les lustres et les nombreux portraits de la grande salle des illusions perdues, la plus vaste, dit-on, je croyais avoir vu le joyau de la demeure. Pourtant, plein de confiance, porté par l'enthousiasme, débordant de curieuse envie, j'ai pris un couloir qui mène à d'autres chambres (à coucher et judiciaires) : celles des Splendeurs et misères des courtisanes. Sans penser que ce fut possible, croyant avoir atteint déjà l'étage supérieur, j'ai dû continuer de monter… Mon émerveillement a été tel que j'ai bien des fois dû m'arrêter pour réaliser l'étendu des trésors qui s'offraient à mon regard.

Balzac nous a offert, avec Splendeurs et misères des courtisanes, un roman digne de se classer parmi tous les registres et, dans chacun, d'y briller. On s'y promène, des loges de l'Opéra Garnier aux cellules de la Conciergerie, profitant de la visite pour s'enrichir de de notices sur les hauts lieux de Paris comme de plongées dans ses bas-fonds. On s'y informe des règles et des usages, des pratiques et des langages, des procédures légales et des astuces des initiés. Ce n'est pas seulement une véritable histoire des moeurs du XIXe de la Monarchie de Juillet, qui soulève ici et là le voile sur des pages plus anciennes de notre passé ; c'est une monographie de la société que forment les français, des populos jusqu'au gratin. On s'amuse (du parler populaire des uns, de leur argot, des accents à couper au couteau des invités autant que des chichis des guindés) tout comme on s'extasie devant les tournures les plus élégantes, les mieux senties car parfois vraies, les loyautés les plus solides que partagent petits et grands parfois, les fidélités qui seules rendent nobles. Les réflexions les plus fines (même si, parfois, Balzac « le visionnaire » reste de son temps) et les observations les plus pénétrantes foisonnent sans jamais ennuyer. Car l'amour côtoie l'aventure et le suspens, le frisson succède aux émotions, l'intrigue alterne avec la romance. La politique en redonne aux affaires et celles-ci rendent sa monnaie à la passion. Par deux fois, puis trois, puis quatre, l'enthousiasme de la découverte se renouvelle complètement : on ne lit toute une série en une seul roman. Des dizaines de personnages pour choisir son héroïne, son modèle, et détester tout autant.

Mais ce spectacle n'a rien d'un gentil amusement.
La comédie humaine, où chacun se donne tant
De mal pour une place, du pouvoir, de l'argent,
C'est le drame des misères auxquelles l'on consent :
Celle des autres, qui ne compte pas, comme celle de son sang.
Non pour vivre, mais briller, l'espace d'un instant…
Que cette farce est triste : une tragédie d'entant.

Je poursuivrai ma visite pourtant ;
Irai encore au spectacle : c'est un enchantement.
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