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Splendeurs et misères des courtisanes, c'est d'abord un magnifique titre pour le second plus long roman d'Honoré de Balzac après Illusions perdues, dont il constitue une suite ou un prolongement. Il fait du personnage central des Illusions, Lucien de Rubempré, un personnage secondaire mais essentiel autour duquel vont graviter deux personnages successivement centraux : la courtisane tout d'abord et le mentor ensuite.

L'ouvrage est constitué de quatre parties, à peu près équivalentes en volume, les deux premières centrées sur le personnage de la courtisane et les deux dernières sur celui du mentor. Dès à présent, on pourrait remarquer que cet ensemble aurait pu constituer deux ensembles distincts et que son titre, fait en réalité référence uniquement à la première moitié du livre.

Ouvrage composite, ouvrage complexe car il se présente comme une clef de voûte de la Comédie Humaine. C'est une pièce centrale qui relie mécaniquement beaucoup de chefs-d'oeuvres de cet ensemble en ogive : les sublimes Illusions perdues, déjà mentionnées, mais également le très fameux Père Goriot, ou encore des petits romans comme Gobseck, La Maison Nucingen, L'Interdiction ainsi que quelques autres, de façon plus ténue.

Splendeurs et misères des courtisanes, c'est une sorte de portrait en creux : le sujet étant la réussite sociale et mondaine, l'accession à un poste de premier plan à l'échelle nationale, à l'époque de la Restauration (aux alentours de 1830). Il y est bien sûr question de la réussite de Lucien, qui passerait par un beau mariage, mais ce n'est pas le centre d'intérêt de l'auteur. Celui-ci s'intéresse aux à-côtés de cette ascension.

En ce sens, l'analyse d'un phénomène humain sous la Restauration au XIXè s. que nous propose ce roman pourrait étayer avantageusement et nous être précieuse pour la compréhension fine de phénomènes humains similaires du XXIè s. tels que l'ascension vertigineuse d'un certain Emmanuel M., par exemple, mais on pourrait en cibler beaucoup d'autres. Et c'est en ce sens, quoi qu'on en pense et quoi qu'on en dise, que Balzac est vraiment très, très fort : il touche à des caractéristiques universelles de la mécanique humaine, ce qu'il nommait " la comédie humaine ". Et bien qu'on ne parle plus ni de monarchie, ni du XIXème siècle, ses observations et ses conclusions restent valables des siècles après leur formulation et n'importe où dans le monde. Voilà la force De Balzac.

La courtisane, très comparable au personnage de Coralie dans les Illusions perdue et qui annonce grandement la Josepha de la Cousine Bette, sera ici la jolie juive, la sublimissime Esther, surnommée " la torpille " tant elle tape dans l'oeil de tous les hommes qui posent le regard sur ses charmes. Cette femme, cette demi-mondaine, va subir une transformation sous l'action de qui vous verrez (il ne faut pas que je vous en dévoile de trop). de sorte qu'Esther va peu à peu se muer en formidable tremplin pour Lucien. Tremplin pour quoi ? Qu'advient-il du tremplin ? Ça, je vous laisse le plaisir de le découvrir par vous même, quoique, si vous êtes perspicaces, le titre vous donnera peut-être une légère indication.

Le destin d'Esther n'est pas sans m'évoquer celui de Christine Deviers-Joncour. Rien dans le cynisme et l'utilisation incroyablement méprisante voire humiliante des femmes aux plus hauts échelons de l'État n'a véritablement changé de nos jours. Combien d'Esther encore de par le monde à l'heure qu'il est ? Balzac a le mérite de nous sensibiliser à leur triste destin, même s'il peut paraître enviable, vu de loin, de très loin…

Venons-en à présent à la seconde moitié du livre et à ce mentor d'exception qui souhaite à tout prix faire réussir Lucien. C'est bien le " à tout prix " qui compte ici. On pourrait même ajouter un proverbe : la fin justifie les moyens. Qui donc, parmi la galerie de portraits de la Comédie humaine a les épaules assez solides et l'audace assez haut placée pour ne reculer devant rien, mais ce qui s'appelle rien ? Vous l'avez reconnu ? Nom de code : Trompe-la-mort, cela évoquera peut-être quelques souvenirs à certains, quant aux autres, je vous invite à venir découvrir le personnage si vous ne le connaissez déjà (peut-être sous une autre appellation).

C'est l'occasion pour Balzac de nous emmener dans les coulisses de la justice de 1830 mais dont vous constaterez qu'elle n'a pas si fondamentalement changé depuis lors. C'est aussi l'occasion de nous évoquer l'action souterraine de la police secrète, qu'on désignait il y a peu encore par les deux lettres RG et qui depuis a encore changé de nom, mais dont les attributs plus ou moins troubles demeurent.

Le romancier s'inspire très fortement d'un personnage historique ayant réellement existé : Vidocq. Mais, et c'est là encore une des grandes réussites sociologiques de la Comédie humaine, à divers endroits du monde des 3/4 malfrats ont joué des rôles d'auxiliaires de " justice " (avec toutes les réserves possibles que l'on peut émettre sur cette notion). On sait par exemple que pour chasser les banksters des années 1930, Franklin D. Roosevelt a fait appel à l'un des meilleurs d'entre eux, un certain Kennedy, père d'un futur président américain assassiné, on se demande bien pourquoi.

Plus près de nous, en France, il y a peu encore, Étienne Léandri a joué ce rôle du temps de Charles Pasqua. de nos jours, de par le monde, combien de Trompe-la-mort continuent d'officier en sous main, parfois pour la cause de leur gouvernement, parfois pour leurs intérêts propres ?

Bref, vous le voyez, un très, très grand Balzac, encore une fois, dont le projet littéraire n'est pas si éloigné de ce qui se fait à l'heure actuelle en terme de séries, je pense notamment à la série exceptionnelle The Wire (Sur écoute en français) de David Simon.

Littérairement parlant, j'aurais peut-être un ou deux petits bémols à apporter, notamment dans la troisième partie où les descriptions de la Conciergerie ne me semblent pas toutes indispensables. L'accent systématique yiddisho-alsacien de Nucingen est un peu fatigant à la longue. Certains personnages sont peut-être un peu exagérés, je pense principalement à celle qui est surnommée " Asie ". C'est sûrement vrai aussi de quelques autres, mais pour le reste, un vrai grand plaisir de lecture sans cesse renouvelé sur plus de 500 pages, ce qui m'incite à vous conseiller vivement la lecture de ce roman. En outre, souvenez-vous que tout ceci n'est que mon avis, splendide pour certains, misérable pour d'autres donc, si l'on fait une moyenne, pas grand-chose. (CQFD)
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Un Balzac giratoire !
Combien de rues, avenues, carrefours, stations de métro, animaux de compagnie, boutiques, restaurants ou gâteaux (ah, non le Saint Honoré, ce n'est pas lui !) portent déjà le pédigrée du Napoléon des Lettres ? Et pas un seul croisement ne porte sa dédicace alors qu'il est le génie du carrefour littéraire.
A quand donc le baptême d'un rond-point pour honorer Honoré et ce chef d'oeuvre absolu qui concentre pas moins de 273 personnages dont la plupart sont de vieilles connaissances de nos lectures scolaires plus ou moins imposées et qui symbolise si merveilleusement le projet gargantuesque de l'inventeur du roman moderne.
Je n'aurai pas la prétention d'annoncer comme une ancienne ministre aux traits très étirés, qui parle trop pour ne rien dire pour avoir le temps de lire, que j'ai dévoré les 93 romans de la Comédie Humaine (c'est un challenge que je réserve pour mes très vieux jours) mais j'ai déjà consommé du Balzac sans modération et Splendeurs et misères des courtisanes mérite le panthéon de mes lectures.
C'est autant la suite d'Illusions Perdues que l'apothéose du Père Goriot. C'est surtout la vengeance ultime du personnage de Vautrin et la victoire sans appel de l'ambition sur la morale. Fini le roman d'apprentissage et les dépucelages de jeunes provinciaux par des bourgeoises désoeuvrées. Les héros de splendeurs et misères des courtisanes ont été déniaisés par la vie. Rastignac est un arriviste qui est arrivé, Lucien de Rubempré n'a plus beaucoup d'illusions et devient la marionnette de Vautrin, la belle Esther est une ancienne courtisane surnommée la Torpille (tout un programme !) qui ne survit que pour l'amour de Lucien et le banquier Nucingen est dévoré par le démon de midi qui s'éveille plutôt dans un cinq à sept.
L'histoire ne se raconte pas, elle se dévore. Elle a autant enrichi mon été qu'un voyage. Vautrin, l'ancien bagnard déguisé en prêtre, alias Trompe-la-Mort, alias Carlos Herrera, sosie caché de Vidocq, sponsorise le retour de Lucien de Rubempré dans le Grand Monde à Paris avec l'ambition de lui faire épouser une jeune fille d'une illustre famille aristocratique, label bleu, AOC, Appellation d'Origine Cossue.
Le plan se heurte à plusieurs écueils : Lucien est amoureux d'une ancienne courtisane, Esther Gobseck, le potentiel beau-père se méfie des intentions du bellâtre, exige une caution d'un million pour autoriser le mariage et les comploteurs doivent faire face à des policiers aussi retors qu'eux. Un plan avec accrocs.
Pour financer l'opération, Vautrin va utiliser les charmes de la belle Esther et son esprit de sacrifice pour plumer le banquier Nucingen, lourd volatile.
Balzac offre ici avec un panache extraordinaire le mode d'emploi de la machinerie sociale de son siècle, aussi complexe à déchiffrer qu'un canapé Ikea. Jeux de masques et des apparences, tout est dans l'emballage. La vie chez Balzac se résume à une conquête dépourvue de morale pour le pouvoir, les hommes ou les femmes, l'argent et le statut social. Des vertus réduites à peau de chagrin, à faire chouiner un chouan, du développement personnel qui ne passe pas par la méthode Coué ou des séances de yoga en tenue de lycra façon Salami mais par une ambition impitoyable, et un dénouement qui consacre la canaille. Balzac n'était pas un génie de la pensée positive. Ses personnages se suicident encore plus facilement que ceux de Zweig.
Balzac écrivait des histoires pour que les gens arrêtent de se raconter des histoires. Il portait déjà le deuil des transcendances.
Un rond-point incontournable !
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Splendeurs et misères des courtisanes commencent là où Les illusions perdues se terminent. Lucien de Rubempré, grâce au soutien du mystérieux abbé Carlos Herrera revient triomphalement dans la capitale française. Ce Paris qui l'avait dédaigneusement rejeté l'accepte maintenant les bras (presque) grands ouverts. Eugène de Rastignac, la comtesse de Sérisy et la duchesse de Maufrigneuse en font leur protégé. Il est même question d'un mariage avec la fille de la duchesse de Grandlieu.

Attention, spoiler !

Les magouilles de l'abbé Herrera visant à faire recouvrer sa fortune à Lucien font beaucoup parler et plusieurs commencent à douter. La mort d'Esther fait s'écrouler ce château de cartes. Il apparaît que cette courtisane se prostituait et soutirait des fortunes au baron de Nucingen pour les distribuer à son amoureux Lucien. le jeune homme, emprisonné, est trop faible et il n'arrive pas à se défendre correctement.

Ce roman De Balzac dépasse grandement l'histoire de Lucien de Rubempré. D'ailleurs, celui-ci, disparaît avant la fin du roman. Ce sont les femmes, des courtisanes, qui, si elles n'occupent pas toujours une place de premier plan, n'en ont pas moins un rôle déterminant. D'abord, le désir de vengeance de Mme de Bargeton et de son cercle d'amies joue pour beaucoup. Toutefois, Esther symbolise la courtisane par excellence : elle réussit à merveille à exploiter la passion du baron de Nucingen. Et ce n'est pas qu'une jolie femme. Elle tente de sa racheter de son ancienne vie de prostituée, hésite à se donner à son soupirant, sa conscience la travaille. Il y a aussi la duchesse de Maufrigneuse qui intervient dans le procès de Lucien et la comtesse de Sérisy qui va jusqu'à obtenir de son mari qu'il use de toute son influence dans l'affaire. D'un autre côté, l'épouse du juge Camesot intrigue pour favoriser l'avancement de son mari. Bref, des femmes avec leur agenda qui tissent le destin des hommes qu'elles croisent…

Ceci dit, Splendeurs et misères des courtisanes est également une histoire de rédemption. Alors que Lucien sombre rapidement dans le désespoir, tout le génie de l'abbé Herrera se met en branle. Il joue de ruse et d'intelligence contre les forces de l'ordre qui le soupçonnent être nul autre que l'ancien bagnard Jacques Collin, alias Vautrin, aussi surnommé Trompe-la-mort. Il porte le roman sur ses épaules dans la dernière partie du roman. Quand son protégé commet l'irréparable, il vit un moment de profonde tristesse et d'abattement mais se reprend vite en main. Mieux, il délaisse le crime pour rejoindre la police.

Balzac a le mérite de dépeindre réalistiquement et extraordinairement bien les Paris du début du XIXe siècle. Oui, oui, les Paris. Celui des pauvres gens, des chaumières, des ruelles sombres, des prisons, etc. Mais aussi celui de l'élite, qu'on retrouve à l'opéra et dans les salons privés. J'en retrouve l'écho dans la Recherche du temps perdu, de Marcel Proust. Malheureusement, soit les lecteurs de l'époque étaient ignares, soit l'auteur aimait s'épandre en descriptions. Parfois, son côté pédagogue m'a agacé, particulièrement quand il se sent obligé d'expliquer en long et en large la justice française, le monde des forçats, etc. Quant à moi, quelques lignes auraient suffi. Cette lourdeur m'a ennuyé plus que tout. Mais bon, les personnages, intéressants, complexes, surprenants, plus grands que nature, ont compensé amplement. Bref, j'ai fixé à mon agenda des rendez-vous avec d'autres tomes de cette fresque qu'est la Comédie Humaine.
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Le plus passionnant des volumes de la Condition Humaine...Il fait suite aux Illusions perdues: Lucien de Rubempré, veule, fragile , au bord du suicide- mais ô combien sexy tout éploré et tout mouillé- y faisait la rencontre -et la conquête- in extremis d'un bien curieux évêque espagnol , vraiment pas très catholique, Mgr de Herrera, alias Vautrin (voir Père Goriot) alias Trompe-la-Mort.

L'évêque signait avec ce malheureux candidat à la noyade un pacte faustien: la gloire, la richesse, l'amour des plus belles femmes contre une obéissance aveugle et l'abandon de tout scrupule moral..

C'est ce pacte et cette promesse que vont remplir Splendeurs et misères des courtisanes, livre foisonnant, aux chapitres courts, s'arrêtant toujours sur un "suspense" insupportable-car Balzac le publiait en feuilleton!

Lucien aura l'amour des dames de la haute,l'argent et la notoriété, le pouvoir qui les accompagne, et aussi la fidélité passionnée de la plus rouée des courtisanes, Esther, dite la Torpille...

Splendeurs...est le roman des conversions et des métamorphoses: la gourgandine devient sainte, le pauvre chéri devient puissant...tant qu'il reste sous la férule de Herrera, mais comprendra son malheur quand il croira pouvoir impunément voler de ses propres ailes. Quant à l'évêque ex-taulard, il finira dans la peau ...du chef de la police parisienne, Balzac s'étant inspiré de Vidocq, personnage historique au destin romanesque.

Balzac tout frétillant de cette mauvaise compagnie -giton, pute , maquereau , indic'- nous balade avec délices dans un univers parisien interlope...sans résister aux parenthèses didactiques -la langue des forçats, marquée de la fleur de lys aurait dit Hugo son collègue en bas-fonds, nous est longuement détaillée...mais autant les parenthèses notariales des Illusions perdues m'ont exaspérée -comment rédiger un avis de saisie en dix leçons!- autant les parenthèses exotiques dans les prisons et le bagne m'ont ravie...Mieux vaut un bad boy que dix clercs de notaire!

Autre audace: les amours homosexuelles à peine avouées de l'évêque et de son joli protégé...

Un Balzac page-turner, on vous dit!
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Nous avions laissé ce petit crétin narcissique de Lucien de Rubempré seul et désespéré à la fin des “Illusions perdues” - il y avait de quoi puisque l'andouille avait ruiné par sa bêtise et son égocentrisme son adorable soeur et son brave beau-frère - et c'est avec un plaisir mitigé que nous le retrouvons au début de “Splendeurs et misères des courtisanes” glissé à nouveau dans son rôle de dandy dépensier. Comme Lucien a-t-il effectué cette surprenante remontée ? On se doute bien qu'il n'y est pas arrivé tout seul, allez ! Car le mignon petit chien de manchon s'est trouvé un lion pour protecteur, un redoutable personnage à la carrure du taureau et au tempérament de bête fauve, le mystérieux abbé Carlos Herrera. Non content de propulser son poulain aux premiers rangs de la bonne société, celui-ci a décidé de lui faire épouser une fille de duc ni trop jolie, ni trop laide, mais abondamment dotée. Hélas, Lucien s'est amouraché d'une belle courtisane, la divine Esther dites “La Torpille” pour les intimes... Il ne veut pas s'en passer ? Tant pis, on fera avec ! Mieux encore, on utilisera les charmes de la belle pour enrichir encore davantage le jeune sot et lui ouvrir ainsi un chemin tout tracé vers la gloire et la fortune. A moins que ce ne soit vers la potence, bien entendu.

Avec ce roman, nous sommes clairement dans un format beaucoup plus feuilletonnant que celui des “Illusions perdues” et du “Père Goriot”, laissant la part belle aux rebondissements multiples et au pur divertissement. A mon sens, c'est à la fois un mal et un bien. Ce que le récit perd en finesse psychologique et en profondeur, il le gagne en vivacité et en dynamisme et ces “Splendeurs et misères des courtisanes” s'avèrent beaucoup plus digestes que les - un poil - interminables “Illusions perdues” qui les précédaient. Heureusement, la méchanceté De Balzac est toujours là, venimeuse et féroce, et c'est avec un vif plaisir qu'on le verra, tout au long de sa narration, se livrer à un matraquage enthousiaste des milieux financiers, politiques et judiciaires. Balzac se moque de tout : l'amour, le sacré, la noblesse, la richesse… Même les quelques scènes pathétiques qui émaillent le récit m'ont semblées lourdes de second degré et, même au coeur de la tragédie la plus noire, le cynisme rigolard ne manque jamais de pointer son nez.

“Splendeurs et misères des courtisanes”, c'est aussi le récit de la première grande passion ouvertement homosexuelle de la littérature française. Rien que pour ça, avouez que ça vaut le détour ! On avait déjà remarqué l'intérêt de Vautrin - réapparaissant ici sous le masque de l'abbé Carlos Herrera - pour les beaux jeunes hommes facilement influençables dans les romans précédents. Ici, cet intérêt se concrétise et se dépouille de toute ambiguïté. Clairement, ce n'est pas pour son charmant intellect que le redoutable forçat a pris sous sa protection le petit dandy superficiel, mais sans conteste pour ses beaux yeux et son joli petit cul. Pas seulement cependant. Si le goût déplorable de Herrera en matière de compagnon peut surprendre, surtout venant d'un homme aussi pragmatique et brillant (Lucien est tout de même une incroyable petite tête à claques), on l'expliquera aisément par une sorte de narcissisme à la Pygmalion. Au fond, Herrera se fout de Lucien, de sa douceur, de sa mollesse, de son égocentrisme naïf. Au delà d'un attrait purement physique, il ne l'apprécie vraiment que comme une extension de lui-même, une façon de prendre sa revanche sur la société, son “Moi beau” comme il le dit lui-même. Autant pour le romantisme.

Pas d'amour, pas de sentimentalité, pas de poésie, mais une vision très noire et pessimiste de l'humanité. Si vous êtes amatrice, comme moi, n'hésitez pas une seconde, sinon replongez vous dans Victor Hugo.
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Dès que j'ai eu achevé Illusions perdues, je me suis jetée sur Splendeurs et misères des courtisanes, le 3ème roman de la trilogie Vautrin.
J'ai retrouvé avec plaisir une bonne partie des personnages de Illusions perdues, même si l'atmosphère est plus pesante avec l'omniprésence oppressante de Vautrin.
Elément étonnant, à la 543ème page, on sait que l'on ne parlera plus de 2 des personnages principaux...
Reste plus de 180 pages pour parler de qui ? de Vautrin, personnage auquel, à mon grand étonnement, on finit par s'attacher.
On peut aussi prolonger le plaisir avec le film Vautrin de 1943.
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J'avais laissé Lucien Chardon au bord du chemin, désillusionné, accablé de remords, déterminé à se suicider mais miraculeusement sauvé par un mystérieux abbé espagnol nommé Carlos Herrera. Je l'ai retrouvé quelques mois plus tard, arpentant le foyer de l'Opéra de Paris au bras d'une belle femme, élégamment vêtu et d'une beauté suscitant la jalousie des hommes et faisant chavirer le coeur des femmes. Lucien semble s'être enrichi et a réussi à anoblir son nom d'une particule. La Fortune lui sourit, mais la femme dont Lucien s'est épris est une ancienne prostituée, Esther, surnommée la Torpille, qui vient d'être identifiée par les camarades de Lucien, anciens clients de la courtisane. Pour l'abbé Carlos Herrera, ce coup du sort peut mettre un terme à l'ascension sociale qu'il est en train de bâtir brique après brique pour son protégé. Esther doit être sacrifiée pour préserver la réputation et les intérêts de Lucien.

Cette suite des Illusions perdues se lit beaucoup plus aisément : d'une facture peut-être moins classique mais bien plus feuilletonesque, Splendeurs et misères des courtisanes se dévore, Balzac prenant plaisir à enchaîner les rebondissements et les retournements de situation pour nous accrocher jusqu'à la fin du roman. Le roman se divise en 4 parties dont les deux premières sont consacrées à Esther et à Lucien et les deux dernières sont centrées sur le véritable personnage principal du roman, l'abbé Carlos Herrera, dont on découvrira la véritable identité et les multiples avatars au cours du roman. Au fil des pages, on retrouvera bon nombre de personnages de la Comédie Humaine, comme Rastignac, Delphine de Nucingen (l'une des filles du Père Goriot), le baron de Nucingen, et bien d'autres, certains juste esquissés comme Joseph Bridau (La Rabouilleuse) dont on apprend avec plaisir qu'il est devenu un peintre reconnu...

Dans la première partie qui nous raconte l'histoire tragique d'Esther, Balzac ne peut s'empêcher d'y mêler des scènes de théâtre et même de pur vaudeville avec tromperie, farce et substitution de personne dont la victime est le baron de Nucingen. Avec la prononciation et l'accent ridicules du baron (d'ailleurs assez pénibles à lire et à comprendre parfois), cette partie serait presque du registre de la comédie si elle n'était pas si dramatique sur le fond.

La dernière partie se veut plus policière et se consacre à la figure magistrale de Carlos Herrera, réincarnation de Vautrin, ex-locataire de la Maison Vauquer dans le Père Goriot, mais aussi plus connu de la police sous le nom de Jacques Collin. Balzac s'est inspiré de Vidocq et de ses lectures sur le bagne pour décrire cet homme terrible, d'une dimension hugolienne, qui gouverne les bas-fonds de Paris, celui des voleurs et des assassins, aidé par des comparses experts dans l'art du déguisement. Il y a du Eugène Sue et du Adolphe d'Ennery dans ces pages-là ! Tout au long du roman, l'abbé manipule son monde : la pauvre Esther, Lucien - cet être lâche capable de trahir son amour et ses principes pour la fortune et un titre -, mais aussi les grands seigneurs, les hommes de loi et de la police, les voleurs, les prisonniers et les condamnés à mort. J'ai beaucoup aimé ce jeu du chat et de la souris auquel se livre l'abbé avec la Sureté, même si les retournements de situation flirtent avec une invraisemblance assumée par le romancier qui la justifie en arguant que la réalité dépasse souvent la fiction. Avec l'exemple du fabuleux parcours de Vidocq, on ne peut guère le lui reprocher ! Cette dernière partie est l'occasion pour Balzac de nous décrire si minutieusement la Conciergerie qu'il arrive à nous la faire voir et qu'il m'a donné l'envie de la visiter dès que possible.

Mais les passages les plus délectables du roman sont peut-être les belles études psychologiques de l'âme féminine que Balzac brosse à travers les portraits d'Esther bien sûr mais aussi de Mme de Sérizy, de la duchesse de Maufrigneuse, de la marquise d'Espard et de Mme Camusot. Le romancier excelle à analyser finement les remous de l'esprit qui agitent ces dames par l'interprétation d'un soupir, d'une contraction de la bouche, d'une syllabe accentuée ou d'un regard éperdu. A cet égard, toutes ces figures féminines peuvent paraître secondaires mais c'est bien elles qui seront la cause involontaire de l'inflexion étonnante du parcours de Carlos Herrera. Alors feront-elle triompher la morale et la vertu ? Vous ne le saurez qu'à la dernière page du roman...

Challenge multi-défis 2020
Challenge XIXème siècle 2020
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Somptueux !

Ce roman est la suite d'Illusions Perdues qui est déjà un pur chef d'oeuvre de réflexion sur la Société, mais celui-ci est différent. Il m'a plus donné l'impression d'un livre d'aventure dont le style pouvait parfois se confondre avec celui d'Alexandre Dumas père. Oh bien sur je ne suis pas en train de dire que Balzac a écrit comme Dumas, non pas du tout, mais à certains moments je me suis cru en train de lire le Comte de Monte-Cristo qui hante encore mes lectures.

Jacques Colin alias Vautrin alias Carlos Herrera est vraiment LE personnage que j'adore dans l'oeuvre De Balzac (enfin dans l'infime partie que j'ai lu). C'est un personnage qui à lui tout seul peut faire basculer un roman dans une affaire sombre et tout de suite plus énigmatique, sombre et plus inquiétante. Alors dire cela d'un homme qui dénigre les femmes, les vend comme esclaves sexuelles n'est pas vraiment morale. Mais pour moi je trouve vraiment que c'est le symbole du "voleur intelligent", un bandit anarchiste, un meurtrier qui détourne la société avec brio, une telle malignité, un tel sang-froid. Il exprime aussi le rachat entier avec le métier avec lequel il compte débuter une nouvelle vie.

Alors bien sur Balzac écrit au delà d'une aventure romanesque, une véritable remise en question du lien entre la Police et la Justice, symbolisé par le juge Camusot qui est mis sous pression par le procureur-général et Corentin.

Massif pilier de la Comédie Humaine , le Père Goriot, Illusions Perdues et Splendeurs et Misères des Courtisanes, est à lire absolument ! Et à étudier !
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Pour apprécier Balzac à sa juste valeur il me semble qu'il faut avoir un peu vécu afin d'être à même de percevoir toute la saveur de l'écho de ses observations avec notre époque. Dans Honoré et moi, Titiou Lecoq mettait l'accent sur l'extrême modernité de l'auteur de la Comédie Humaine et ce n'est pas une tromperie. L'envie qu'elle a suscitée chez moi s'est transformée en régal de lecture, d'abord avec Illusions perdues dont le film avait provoqué mon passage à l'acte, et ensuite avec ce Splendeurs et misères des courtisanes qui reprend les aventures de Lucien de Rubempré là où nous l'avions laissé.

Le voici de retour à Paris, grâce au soutien financier et tactique de l'abbé Carlos Herrera derrière lequel se cache Vautrin, alias trompe-la-mort, alias Jacques Collin, bagnard évadé et spécialiste des transformations. L'homme a de grandes ambitions pour son poulain dont l'orgueil et l'envie d'être admiré trouvent ici à s'épanouir. Guidé par Herrera, Lucien travaille dur dans les salons et les antichambres : succès mondains, carrière, admiratrices protectrices, mariage lucratif en vue... la voie semble royale même s'il ne peut s'empêcher de tomber amoureux d'Esther, une ancienne courtisane. Une relation qui pourrait contrarier ses plans et que l'abbé va tout mettre en oeuvre pour retourner en leur faveur grâce à ses talents hors norme de manipulateur sans scrupules pour lequel tout a un prix. Pourtant, l'étau se resserre. Polices et contre-polices sont sur ses traces, et à trop jouer avec le feu... Balzac devait certainement avoir envie de nous faire une conférence sur la Conciergerie, lieu qui semble l'impressionner au plus haut point et dans lequel il situe la deuxième moitié du roman qui est de loin la plus passionnante à mon sens. L'occasion d'explorer les mécanismes de la police et de la justice au sein d'un système assez complexe où - à l'instar du fameux Vidocq - on peut parfois changer de position. Balzac met deux mondes en parallèle, celui de la bonne société où les intrigues, réseaux d'influence et autres moyens de pression sont légion et celui du peuple d'en bas qui rivalise d'inventivité et de culot dans l'organisation de ses activités criminelles ; au point que le lecteur ne peut que constater que les uns n'ont rien à envier aux autres.

Si la première partie m'a parfois lassée par ses intrigues de salons ou la difficulté à suivre le terrible accent du banquier Nucingen, la seconde moitié m'a totalement captivée dans les pas du personnage de Vautrin/Jacques Collin, complètement taillé pour le genre du feuilleton, forme sous laquelle a d'abord été publié ce roman. le récit est alors centré sur les intérêts des différents protagonistes et les moyens employés pour les faire avancer ; on y découvre sans surprise et avec une pointe d'ironie l'influence des femmes qui trouvent leur rôle sur l'échiquier. Et l'on en sort sans plus trop d'illusions quant à la marche du monde. "Les voilà donc, ces gens qui décident de nos destinées et de celles des peuples ! " constate Jacques Collin, mi-amer, mi-moqueur et un poil misogyne, "Un soupir poussé de travers par une femelle leur retourne l'esprit comme un gant". On avait déjà pu remarquer un bon nombre de piques adressées à la gent féminine tout au long du roman, ça se confirme donc même si leurs pendants masculins ne sont pas épargnés, en premier lieu pour être si facilement manipulables.

Une lecture qui m'a confortée dans l'idée de revenir de temps en temps vers Balzac et d'autres auteurs dits classiques, pour la saveur d'une plume habile à piquer autant qu'à divertir. Reste à choisir le prochain.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Arraché au suicide par l'intrigant abbé Carlos Herrera, revoici Lucien de Rubempré à Paris - aussi brillant, aussi heureux qu'il en était parti accablé et défait à la fin des Illusions Perdues. Un protecteur puissant, assez d'argent pour mener un train de parfait dandy, une maîtresse aimante et dévouée, quelques amantes haut placées, un nom aristocratique reconnu... la Fortune enfin semble sourire au jeune homme, qui n'a guère plus qu'à conclure un beau mariage pour assurer sa place dans le grand monde.
Seulement... le protecteur n'est autre qu'un forçat évadé, la fortune qu'il assure à Lucien a des origines bien douteuses, la maîtresse de coeur est une ancienne prostituée qu'un homme dans sa situation ne peut pas afficher, et par ses maladresses, par ses anciens faux-pas, il a suscité quelques haines tenaces qui guettent la moindre faille pour le faire chuter.
Lucien sera heureux, pourtant, pendant quelques années. Mais la nuit où le baron de Nucingen entrevoit par accident le visage de la trop belle Esther, l'amante cachée, les choses commencent à sérieusement se compliquer. le génie tortueux d'Herrera ne sera pas de trop pour se tirer de là, mais ses machinations implacables pourraient tout aussi bien broyer l'être fragile qu'elles ont entrepris de sauver...

Si le beau Lucien ne m'avait pas vraiment manqué, quel plaisir de retrouver Jacques Collin, le Vautrin du Père Goriot, plus ambigu que jamais sous son nouveau visage de prêtre espagnol ! Sous son aile, Lucien devient d'ailleurs moins sujet qu'objet du roman, ce qui lui convient considérablement mieux. Un personnage séduisant mais passif sur lequel se cristallisent les passions des autres caractères, qui prennent face à lui toute leur ampleur, découvrent par lui leur potentiel tragique encore insoupçonné.
Deux grands amours, ici, rédempteurs et destructeurs à la fois : celui de la belle Esther, simple prostituée qui pour Lucien se fera sainte puis martyre ; celui de Jacques, criminel aussi brillant qu'implacable, à qui ce joli garçon révèle un coeur et une capacité terrible à souffrir. le premier, un peu convenu, joue avec les codes assez classiques du sordide et du sublime - il touche, pourtant, par le charme de cette femme depuis longtemps sacrifiée à l'autel des plaisirs masculins, foncièrement généreuse, déchirée entre deux visages contradictoires et inconciliables d'elle-même que son dangereux mentor manipule un peu trop bien. le second, beaucoup plus rare, a toute l'ambiguité, l'audace et la puissance de son principal personnage, il déjoue les codes sociaux établis, les rapports de classes, de sexes et de genres, il manipule celui dont il a fait son idole, domine absolument et s'offre tout entier. Peut-être plus spirituel que charnel, il est odieux parfois, par l'emprise absolue qu'il entend exercer, magnifique malgré tout, par le bouleversement total qu'il entraîne chez cet homme d'airain.

Splendeurs et Misères, pourtant, est loin de se limiter à une double histoire d'amour, aussi complexe et intéressante soit-elle. de manière tout aussi intéressante et complexe, s'y exposent également les rapports entre la Société et ses laissés pour compte, pègre et prostituées, victimes dangereuses d'un ordre inique qui écrase sans pitié ses éléments les plus fragiles, retourne contre lui-même ceux qu'il n'a pas tués. Au terme d'un palpitant duel policier entre l'ancien forçat et un trio de redoutables espions, puis d'une bataille juridique à mille rebondissements, y aura-t-il seulement un vainqueur dans cette affaire ? Au lecteur de se faire son idée, sachant que ce qui est dit diffère bien souvent de ce qui est donné à voir... Ambiguité assez balzacienne, qu'amplifie ici les besoins du roman feuilleton, dans la forme duquel l'oeuvre est contrainte de se couler.
Les rivaux De Balzac sont désormais Eugène Sue et Dumas : on y perd parfois un peu en finesse, en précision, mais on y gagne aussi en efficacité narrative, avec une succession de chapitres très courts, un peu trop parfois, dont les effets de suspense rendent vite la lecture assez addictive !

Comme j'adore relier entre eux mes centres d'intérêt, et connaissant l'admiration que vouait Oscar Wilde à Balzac comme l'effet assez violent que ce roman en particulier eut sur lui [attention, SPOILERS sur les deux bouquins dans la suite de ce paragraphe !] ("La mort de Lucien de Rubempré est le plus grand drame de ma vie", aurait-il dit... avant de connaître le vrai sens du drame), je n'ai pas pu m'empêcher de noter au passage les parallèles nombreux qui existent entre Lucien et Dorian Gray.
Deux très beaux garçons, blonds, angéliques, sensibles et influençables, sont dévoyés par un séduisant démon (Lord Henry / Jacques Collin), tombent plus ou moins volontairement dans la dépravation et le crime, causent la mort d'une femme qui les aime trop (Sibyl Vane / Coralie (également comédienne) et Esther), voire la chute de celui à qui ils doivent tout (Basil Hallward / Jacques Collin) et, rattrapés par leur conscience, finissent par se donner la mort.
La chose a sûrement déjà été étudiée - les similitudes, en tout cas, sont vraiment intéressantes, et il faut bien noter au passage que le blondin angélique d'Oscar est sacrément plus accrocheur que celui d'Honoré :-)
Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
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