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Critique de ODP31


Un Balzac giratoire !
Combien de rues, avenues, carrefours, stations de métro, animaux de compagnie, boutiques, restaurants ou gâteaux (ah, non le Saint Honoré, ce n'est pas lui !) portent déjà le pédigrée du Napoléon des Lettres ? Et pas un seul croisement ne porte sa dédicace alors qu'il est le génie du carrefour littéraire.
A quand donc le baptême d'un rond-point pour honorer Honoré et ce chef d'oeuvre absolu qui concentre pas moins de 273 personnages dont la plupart sont de vieilles connaissances de nos lectures scolaires plus ou moins imposées et qui symbolise si merveilleusement le projet gargantuesque de l'inventeur du roman moderne.
Je n'aurai pas la prétention d'annoncer comme une ancienne ministre aux traits très étirés, qui parle trop pour ne rien dire pour avoir le temps de lire, que j'ai dévoré les 93 romans de la Comédie Humaine (c'est un challenge que je réserve pour mes très vieux jours) mais j'ai déjà consommé du Balzac sans modération et Splendeurs et misères des courtisanes mérite le panthéon de mes lectures.
C'est autant la suite d'Illusions Perdues que l'apothéose du Père Goriot. C'est surtout la vengeance ultime du personnage de Vautrin et la victoire sans appel de l'ambition sur la morale. Fini le roman d'apprentissage et les dépucelages de jeunes provinciaux par des bourgeoises désoeuvrées. Les héros de splendeurs et misères des courtisanes ont été déniaisés par la vie. Rastignac est un arriviste qui est arrivé, Lucien de Rubempré n'a plus beaucoup d'illusions et devient la marionnette de Vautrin, la belle Esther est une ancienne courtisane surnommée la Torpille (tout un programme !) qui ne survit que pour l'amour de Lucien et le banquier Nucingen est dévoré par le démon de midi qui s'éveille plutôt dans un cinq à sept.
L'histoire ne se raconte pas, elle se dévore. Elle a autant enrichi mon été qu'un voyage. Vautrin, l'ancien bagnard déguisé en prêtre, alias Trompe-la-Mort, alias Carlos Herrera, sosie caché de Vidocq, sponsorise le retour de Lucien de Rubempré dans le Grand Monde à Paris avec l'ambition de lui faire épouser une jeune fille d'une illustre famille aristocratique, label bleu, AOC, Appellation d'Origine Cossue.
Le plan se heurte à plusieurs écueils : Lucien est amoureux d'une ancienne courtisane, Esther Gobseck, le potentiel beau-père se méfie des intentions du bellâtre, exige une caution d'un million pour autoriser le mariage et les comploteurs doivent faire face à des policiers aussi retors qu'eux. Un plan avec accrocs.
Pour financer l'opération, Vautrin va utiliser les charmes de la belle Esther et son esprit de sacrifice pour plumer le banquier Nucingen, lourd volatile.
Balzac offre ici avec un panache extraordinaire le mode d'emploi de la machinerie sociale de son siècle, aussi complexe à déchiffrer qu'un canapé Ikea. Jeux de masques et des apparences, tout est dans l'emballage. La vie chez Balzac se résume à une conquête dépourvue de morale pour le pouvoir, les hommes ou les femmes, l'argent et le statut social. Des vertus réduites à peau de chagrin, à faire chouiner un chouan, du développement personnel qui ne passe pas par la méthode Coué ou des séances de yoga en tenue de lycra façon Salami mais par une ambition impitoyable, et un dénouement qui consacre la canaille. Balzac n'était pas un génie de la pensée positive. Ses personnages se suicident encore plus facilement que ceux de Zweig.
Balzac écrivait des histoires pour que les gens arrêtent de se raconter des histoires. Il portait déjà le deuil des transcendances.
Un rond-point incontournable !
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