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Critique de chris49


Georges Banu, né le 22 juin 1943 à Buzău en Roumanie est mort samedi, 21 janvier 2023, à Paris, dans sa quatre-vingtième année. Professeur émérite à l'institut d'Études théâtrales-Sorbonne nouvelle, il est aussi un éminent critique.
De son côtoiement quotidien avec le théâtre, le « spectateur averti» qu'il était nous a livré tout au long de sa vie de brillantes analyses et de nombreux essais.

Le « cahier de spectateur » que représente cet ouvrage sur La Cerisaie de Tchekhov témoigne intimement de son grand talent de critique et d'essayiste. Intimement, car on devine aisément l'homme de l'exil derrière l'auteur du livre.

« Dans la Roumanie occupée par l'armée russe (écrit-il), porteuse du communisme et des pratiques staliniennes, ma mère a vécu une autre expérience de la Cerisaie. Traumatisme de jeunesse… […] Orpheline de son « verger », sa vie durant elle en resta marquée au fer rouge et vécut cette violente spoliation comme un assassinat intérieur. »

De sa longue intimité avec l'oeuvre et ses représentations, l'auteur a ainsi livré son essai le plus personnel, puisant dans ses racines et dans sa vie intime ce qui est inhérent à la pièce de Tchekhov et à la parabole du verger perdu. À l'étude rigoureuse de mises en scène données s'ajoute ainsi la trame du récit personnel par touches mélancoliques.

« A Tokyo (écrit-il), Clifford Williams, metteur en scène anglais, avait fait le pari de la représentation métonymique : un seul arbre, géant et sublime, comme unique pilier du monde. […] L'arbre mythique, tout au long des quatre actes, tournait autour de son axe pour indiquer par le changement des feuillages, de l'épanouissement à la chute, le passage des saisons ; il parvenait, lui, aux fiançailles du concret et de l'imaginaire. Métonymie accomplie.
Et pourtant le sentiment d'une absence me poursuivait… car moi-même, j'avais vécu, au Japon, à côté d'un être cher, l'éblouissement des cerisiers en fleurs. Abrités sous une voûte rose, nous avons pensé à cette beauté saisonnière que Lioubov et Gaev, depuis leur enfance, partagent. Fête de l'instant, comme dirait un homme de théâtre ! Rien ne passe plus vite qu'un spectacle ou la floraison des cerisiers. Les Japonais sont fiers de ce culte voué à l'éphémère ! Ils y voient un signe de noblesse… C'est là, au coeur du vieux Japon, que j'ai éprouvé le manque de toutes ces cerisaies {…] »

Je vous invite à découvrir ce livre extrêmement dense en savoir et en émotion. Il témoigne de la tendresse énorme de l'auteur pour le texte de Tchekhov. Tendresse que nous partageons, tant à la lecture de ce chef d'oeuvre de la littérature russe qu'à sa redécouverte au fil des mises en scène*. Une oeuvre prophétique, à l'interprétation inépuisable.

* Celles de Giorgio Strehler, Mathias Langhoff, Peter Brook, Alain Françon… par exemple.

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