Inoubliable symphonie

Elle respirait l’innocence, mais il y avait chez elle ces manières effrontées de braver la peur de l’inconnu. C’était cela qui me plaisait. 

C’était fou, tout ce qui pouvait être basé sur des illusions ! J’existai aux yeux de mes collaborateurs à présent, mais compter pour cette bigleuse aux cheveux frisés qui enseignait le latin ou ce petit croûton de physicien m’importait peu. Je sortis de la salle de réunion en premier et courus jusqu’à ma classe où devaient attendre les camarades de June. Je m’excusai de mon retard, expliquant la situation.
Ils entrèrent et s’installèrent, en chuchotant à propos de l’incendie qui en avait marqué certains. Mathieu Arnould me demanda si on pouvait toujours faire confiance au système d’alarme. Je lui dis que c’était comme l’histoire de crier au loup, alors qu’il n’y en a pas, à force d’erreurs de ce type, mais que la direction allait faire rénover toute l’installation. Cela parut rassurer tout le monde et je culpabilisai à moitié d’engendrer tant d’angoisse chez mes élèves, après ma connerie. J’avais prévu de donner un exercice avec une portée à compléter, le nom des notes à marquer, des noms de mesures spécifiques à trouver et une approche de la gamme de Fa. 

Décidément, cette petite m’intriguait, elle n’était peut-être pas perdue dans ce monde où l’argent est roi, l’apparence reine et le luxe prince. J’avais envie de la connaître davantage au fond de moi. Parce que nous étions dans le même cas : parallèlement opposés. 
 
 

C’était une part de son intimité. J’aurais voulu le connaître quand il avait cet âge-là. Il y avait d’autres morceaux plus connus, dont une version des Quatre saisons où il avait introduit une guitare. Mon préféré restait celui que nous allions jouer. 

Ma seule échappatoire s’avère être, encore une fois, mon violon. Dès l’instant où je dépose ma tête près de la mentonnière, toutes ces horreurs n’existent plus. Ma mère ne veut plus que j’aille au Conservatoire, car cela, selon elle, me ferait une « mauvaise pub pour l’avenir ». C’est ça, dis plutôt que t’as la trouille que les autres parents médisent sur ton éducation qui a amené ta pauvre fille à se conduire comme une traînée !

En fin de compte, toutes mes réflexions me conduisaient à me dire que Rudyard n’avait jamais eu de mauvaises intentions à mon égard et que mon instinct de survie avait eu quelques défaillances, sans doute trop influencé par mes lectures de faits-divers, les feuilletons policiers de ma mère ou la loi établie au sujet des relations entre mineurs et majeurs. Mineur, majeur… Cela pourrait presque se rapporter à la musique et aux différentes gammes et tonalités.

J’avais peur de tomber dans le banal ou la niaiserie totale. Ce n’étaient pas des paroles en l’air, quand même ! Je ne voulais pas lui dire simplement je t’aime, comme on balance un juron. Ces trois petits mots pouvaient changer une vie. Alors, je ne dis rien. C’était connu, la peur paralysait. 

Nous n’étions que des inconnus l’un pour l’autre, des étrangers alliés par le même besoin de se trouver une autre vie. Si nous nous aimions, nous ne serions plus des inconnus. Nous aurions cet amour en commun, en plus de la musique, et je n’étais pas sûr que cela soit vraiment positif. Étant donné que l’amour pouvait être quelque chose de stimulant comme quelque chose de destructeur. Cela était sans compter tous les dangers que cela représentait pour nous. Cacher cette relation aux autres finirait par lasser June. J’en étais certain. D’autant plus qu’elle était jeune et qu’elle se rendrait compte qu’il serait plus sain pour elle d’aller fricoter avec des gentils fils d’aristos de son âge, dans les rallyes !

y avait des mots qui ne s’oubliaient pas, surtout s’il s’agissait de la vérité. Je n’étais pas triste, ni en colère, juste déçue et frustrée. Comme une enfant pourrie gâtée. 

Je ne voulais cependant pas le repousser, ce baiser n’étant pas désagréable. Juste une sensation nouvelle et étrange. Il m’avait alors entraînée dehors, nous avions dit au revoir au groupe et étions partis. Et maintenant, il se contentait de me ramener chez moi, dans le même silence qu’à l’aller.
D’un autre côté, je n’étais pas sûre de pouvoir entendre ses réticences, bien que je sache que c’était évident qu’il ne pouvait pas m’aimer comme je l’aimais. Et puis mes mots ne laissaient pas sous-entendre que je puisse attendre une réponse. Je lui disais juste que je l’aimais, c’était tout !