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Critique de CharlinedeBauer


MAGNIFIQUE,
tel est le mot – ou plutôt l'exclamation– qui m'est immédiatement venu à l'esprit au terme de la lecture que j'ai faite de ce deuxième livre de Yoann Barbereau.
Personne n'a oublié, paru en 2020, ce remarquable Dans les geôles de Sibérie où il faisait le récit de la manière dont il était parvenu à échapper, à Irkoutsk, en Russie, à la veille d'un procès jugé d'avance, aux griffes du FSB. Une cavale sans autres moyens que son courage et l'aide de quelques amis, dont surtout cette Yana qui donne son nom au titre de ce deuxième livre. Une figure hors du commun dont on ne découvre la personnalité qu'avec ce nouveau récit.
Pour un écrivain, dit-on souvent, le plus difficile est d'écrire un deuxième ouvrage qui puisse passer la rampe : l'auteur n'a-t-il pas épuisé déjà toutes ses cartouches ? Défi renforcé pour Yoann Barbereau, dans la mesure où dans son premier livre pesait évidemment très lourd, en termes d'aliment narratif, l'expérience de sa peu banale cavale. Comment parvenir à écrire un livre de même intensité, un livre « aux allures de cavale éternelle » ?
Trois événements sous-tendent la trame narrative de ce nouveau livre (bien qu'ils soient d'inégale ampleur, aucun d'entre eux n'aura échappé à ceux qui sont attentifs à ce qui advient à l'Est) : l'échappée belle de l'auteur (en deux étapes, depuis Irkoutsk en 2016 puis depuis Moscou en 2018), l'exposition d'Ilya Répine au Petit-Palais, à Paris (du 5 octobre 2021 au 23 janvier 2022) et l'invasion russe en Ukraine à compter du 24 février 2022). Ces trois événements apparemment sans grand rapport viennent se coaguler dans le récit de Yoann Barbereau, lui donnant profondeur et relief, tant au plan historique qu'esthétique. Car, au-delà du récit (ou plutôt par la grâce du récit), c'est assurément un livre riche en pensée.
Par exemple sur la question du réalisme pictural : celui de Répine ne s'attarde pas à produire un reflet naturaliste. Il cherche à faire passer le souffle d'une vision. Sa touche agit comme autant de « phrases chamanes », produisant sur le spectateur l'effet le plus puissant, le plus magique. Répine, on le sait, était un maître du portrait – un maître shakespearien aurait-on envie de dire, au regard de son fameux tableau Ivan le Terrible et son fils Ivan. le portrait de Yana, obtenu par touches successives, au fil des chapitres, parvient à restituer toute la complexité d'un personnage-personne, une jeune femme au singulier destin, à la fois passionnée d'archéologie et mère inquiète pour son fils (l'« axolotl »), un tout jeune homme parti au front (côté russe), alors qu'elle est elle-même résolument hostile au « montagnard du Kremlin » dénommé Poutine (elle « aimerait que l'humanité cesse de construire ces fables imbéciles, les empires, la gloriole militaire »).
Dans le droit fil de la ligne de conduite adoptée pour son premier livre, Yoann Barbereau maintient : « Je ne romance jamais ». Témoignage ou littérature ? « Témoignage et littérature, indécidablement – expérience vécue (attestée par Yana à qui l'auteur a soumis son manuscrit) et invention « belletriste » (l'auteur reprend le mot du russe, le dépouillant de toute nuance péjorative). Et en effet, il y a bien littérature, c'est-à-dire art de la phrase : rapidité, ellipse, acuité. Il s'agit, nous dit l'auteur, « d'écrire comme un Scythe ». Formule qui me rappelle une phrase de Thoreau disant que le poète est un archer parthe qui décoche des flèches, là où le romancier est un Romain qui construit des édifices. Mais ici l'archer et le bâtisseur se rejoignent (la construction par chapitres tout en ellipses en témoigne). Toute la dernière partie du livre, à propos de l'Ukraine, est remarquable (et nullement comme tribut qui serait payé à l'actualité). On y trouve notamment un portrait d'une grande justesse de Poutine, « le voyou à la carrure incertaine » et « aux doigts courtauds gras comme des vers ». Tirée d'une épigramme fameuse de Mandelstam contre Staline, la citation pose parfaitement la juste équation qu'il convient d'établir entre le tyran Poutine et son prédécesseur de sinistre mémoire.
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