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EAN : 9782234086166
300 pages
Stock (12/02/2020)
  Existe en édition audio
3.68/5   564 notes
Résumé :
« La scène se joue non loin du lac Baïkal, où je vis, où j’aime, où j’ai la chance d’être aimé, à Irkoutsk, capitale de la Sibérie orientale. Des hommes cagoulés surgissent, c’est le matin. Ma fille crie. Elle a cinq ans. Je suis arrêté sous ses yeux, frappé ensuite avec science, interrogé, mais surtout frappé de ce mot ignominieux qu’il m’est pénible d’écrire : pédophilie. Sous les cagoules et dans l’ombre, des hommes veulent ma peau. Ils ont enclenché une mécaniqu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (116) Voir plus Ajouter une critique
3,68

sur 564 notes
J'ai adoré ce livre que m'avait d'abord conseillé une amie, puis une autre, et encore une autre... J'ai été très touchée par l'histoire, par l'écriture qui est à la fois puissante, délicate, érudite, d'une vitalité incroyable, teintée d'érotisme parfois, d'humour comme de poésie aventurière... Ce qui fait de ce livre un grand livre (et je ne l'écris pas à la légère cet adjectif : GRAND), on peut le résumer avec une formule de Jaccottet : "Juste de vie, juste de voix". le texte est nourri de deux styles, deux rythmes qui alternent : l'écriture se fait tour à tour baroque (une longue phrase de deux pages pour retracer l'histoire de la Sibérie, et on la trouve courte tellement c'est jubilatoire, poétique, entraînant...) puis tranchante, avec des phrases très courtes, d'une précision toute chirurgicale pour décrire la prison, l'hôpital psychiatrique. Et puis il y a la beauté de la cavale sur les routes de Sibérie, les sensations physiques sur le Baïkal qui nous attrapent à la lecture... Vraiment un grand livre dont on ressort émue et plus intelligente, avec la paradoxale envie d'aller en Russie, malgré l'horreur de certaines expériences vécues...
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Yoann Barbereau réussit cet exploit de nous permettre de sortir de son livre avec un amour profond pour ce pays et ses démons. A l'image de Vladimir Vyssotski, de Boulat Okoudjava, qu'il évoque dans ses pages, l'auteur lui même se fait barde et poète pour rendre compte de la culture russe dans sa richesse, sa complexité, ses contradictions, ses mondes, et la Sibérie en est un, à part entière, et quel monde!
Celui des Tchouktches, des Evènes, des Bouriates, des Iakoutes, des Mansis, des Khantys, celui des chamans, des chasseurs, des chercheurs d'or, et celui des Zeks, à l'agonie infinie, au coeur des camps tapis dans la taïga comme des tombes. Ce monde à aussi ses bijoux: le Baïkal, l'air scintillant de ses hivers de cristal, la vie hors d'âge de ses golomyankas translucides et Irkoutsk, qui fascinait déjà Tchékhov, avec sa beauté funambulesque aux tons de vert opaline, de blanc lunaire, tâché des ocres et turquoises des volets de bois.
C'est pourtant là que le diable va frapper, tel celui de Boulgakov dans le Moscou des années 30. le FSB fourbit ses armes dans l'ombre, et la descente aux enfers pendant 3 ans sera rude: de la cellule 645 à la cellule 122, de la nef aux fous de l'asile, à la résidence surveillée puis au confinement dans l'ambassade de Moscou, jusqu'à la fuite.
Yoann Barbereau toutefois n'est pas seul, les mots et les voix l'accompagnent :
"Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les coeurs comme nous endurcis
Car si pitié de nous pauvres avez
Dieu en aura plus tôt de vous merci".
Son livre nous en fait l'offrande, c'est par là aussi que j'ai pu partager ses souffrances et sa colère.
Un récit qui fait toucher du doigt la Russie de l'âme et celle des fers, l'une dans l'autre, indissociables.
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Voici un livre atypique, que j'ai dégusté pendant cette période de confinement imposé pour lutter contre la propagation du virus Covid-19 !
C'est le livre du cauchemar qu'a vécu en Russie l'auteur lui-même. C'est un roman « vrai », selon l'intitulé que lui a donné l'éditeur. Rien n'y est inventé.

Cela démarre à Irkoutsk, capitale de la Sibérie orientale.
Yoann Barbereau, y est Directeur de l'Alliance Française. Son travail le passionne.
Il vit des jours heureux dans cette superbe ville au bord du lac Baïkal, célébrée par le roman de Jules Verne, « Michel Strogoff ».

Mais soudain sa vie bascule ! Des hommes cagoulés pénètrent brutalement chez lui et l'emmènent, sous les yeux de sa femme russe et de leur petite fille de cinq ans, qui crie.
Il ne comprend pas ce qui lui arrive. Qui sont ces hommes ? Où l'emmène-t-on ? Que lui reproche-t-on ?
Voilà le décor planté du récit de quelques années noires de sa vie, un calvaire de presque trois ans !
Il est malmené, torturé, humilié. Quelques heures plus tard, il apprend qu'on l'accuse de pédophilie, plus exactement, d'avoir diffusé des documents pédopornographiques et d'avoir violé sa petite fille !

Il est innocent ! Il est la victime d'un traquenard monté de toutes pièces par des membres du FSB local (FSB, désignant le service secret russe qui a pour rôle d'assurer la sécurité intérieure de la Russie). Des hommes ont monté un dossier compromettant contre lui.
En fait, son ordinateur a été piraté et des photos de familles ont été retouchées, pour lui nuire. C'est le fameux « Kompromat », terme russe pour décrire un dossier de documents préjudiciables envers une personnalité politique ou une autre figure publique.

Yoann Barbereau se débat au sein de cette machine à broyer les hommes, dont il est la proie, et pour lui commence un enfer. Il risque de purger 15 ans de prison à régime sévère. Un procès doit se tenir. C'est un enchaînement d'attentes, d'espoirs…
Il est emprisonné 71 jours dans des conditions épouvantables, partageant sa cellule avec des bandits, des mafieux, des criminels de haut vol, il passe 20 jours en hôpital psychiatrique, il en sort avec un bracelet électronique, assigné à résidence chez lui à Irkoutsk…
Il n'a pas envie d'attendre un procès en Russie, dont il connaît à l'avance l'issue !
Il est innocent. Il veut à tout prix recouvrer sa liberté !
Jamais il ne se résignera ; il résistera envers et contre tout, contre tous !
Sa famille, ses amis le soutiennent. Des russes, risquant leurs vies pour lui, vont l'aider.

Il réussit ainsi à s'échapper astucieusement et rejoint l'Ambassade de France à Moscou, d'où il pense pouvoir être exfiltré rapidement.
Mais des mois passent sans que rien ne bouge. Alors, comprenant qu'il risque littéralement de croupir dans cette prison dorée, pour un sacré bout de temps, il décide de s'en enfuir.
Il arrive à déjouer le système de sécurité de l'ambassade, il sort…

Cette fuite est haletante. On retient son souffle en cette dernière partie du livre. C'est hitchcockien ! Va-t-il enfin pouvoir s'échapper de cet enfer qu'est devenue pour lui la Russie ?

Grâce à sa préparation minutieuse et méthodique, à l'aide d'une amie russe, et à sa détermination sans faille, il parviendra à traverser la frontière estonienne.
Deux jours après son retour en France, Yoann Barbereau donne une conférence de presse, à Nantes, sa ville natale, le 10 novembre 2017.
Il a tenté d'expliquer comment et pourquoi, selon lui, le FSB a monté un Kompromat contre lui : le climat politique était particulièrement tendu… Mauvaises relations franco-russes… Problème de l'emprise de la Russie contre la Crimée, sanctions européennes qui ennuient fort les russes à ce moment-là…
Selon lui, tout a commencé par le fait qu'il était ami avec le maire d'Irkoutsk, qui était un farouche opposant à « Russie unie », le parti de Vladimir Poutine. C'est sans doute un des facteurs qui l'a amené en prison. Y. Barbereau est tombé en même temps que le maire.
La situation politique locale était très trouble, à Irkoutsk. Il y avait des luttes d'influences au sein du FSB local, tout cela constituait un bon terreau pour le compromettre.

Revenu en France, il ne cachera pas son aversion envers les hommes politiques, les services secrets, les diplomates français de l'époque qui ont commis des erreurs, et ont fait preuve d'incompétences majeures et de lâcheté.
En effet, après sa longue cavale de plusieurs milliers de kilomètres, et avec tous les risques qu'il avait encourus… seulement quinze minutes après son arrivée à l'ambassade de France à Moscou, l'ambassadeur vient le voir et lui explique qu'il a appelé directement le ministre des Affaires Etrangères. Se tenait à ce moment-là, une conférence des Nations-Unies.
Le ministre français des affaires étrangères se trouve à côté de M. Lavrov, le ministre des affaires étrangères russes, et il décide de l'informer immédiatement de la présence de Y. B. au sein de l'ambassade de Moscou, parce qu'il a peur des russes… il ne faut pas se fâcher avec eux ! C'est ça que dénonce Y.B. Ce qui l'horripile, c'est que les diplomates français se soient ainsi pliés devant la Russie, parce qu'il est quand même un employé du ministère des affaires étrangères, qui a été attaqué de manière grossière évidente !
Yoann Barbereau a un mandat d'arrêt Interpol, assorti d'une notice rouge accolée à son nom ! Il est toujours condamné par contumace, par la Russie à quinze ans de colonie pénitencière en Sibérie.
Son affaire n'est pas terminée. Aujourd'hui il est bloqué en France.
A la fin de sa conférence de presse, Y.B. dira qu'avec l'aide de son avocat, il souhaite rencontrer le Président de la République pour que les négociations avec la Russie puissent être reprises, être jugé en France pour faire apparaître clairement que ce dossier grotesque a été fabriqué de toutes pièces par la police d'Irkoutsk, être lavé de toute accusation, obtenir l'effacement de sa condamnation par la Russie et l'abandon de toutes les charges contre lui, et recevoir une indemnisation.

En conclusion, un livre passionnant, au récit haletant, ponctué de nombreuses citations littéraires de choix!
Un livre plein de sensibilité, empreint de beaucoup d'humanité, d'amitié, de fraternité, et d'espoir de justice. Chapeau bas, Monsieur Barbereau !
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Je ne sais pas vous mais moi, si l'on me proposait un poste de directrice de l'Alliance Française à Irkoutsk, capitale de la Sibérie orientale, tout près du lac Baïkal, eh bien, je n'hésiterais pas une seconde (oui, je développe actuellement une certaine obsession pour certains lieux dont le lac Baïkal autour duquel je pense un jour ou l'autre aller traîner mes vieilles chaussures de marche.) Mais ce n'est pas à moi que l'on fit cette belle proposition mais à un certain Yoann Barbereau qui prit ses cliques et ses claques et s'empressa de partir avec sa fiancée russe (ça tombait plutôt bien) et sa fille… Comme ce genre de fonction suppose une bonne capacité d'absorption et de digestion (ce qui est dans mes cordes, jusque là, ça va)… ainsi qu'une langue bien pendue (je suis tout sauf une taiseuse), je pense qu'à la condition de ne pas prononcer un mot de russe (pure hypothèse très peu probable mais au pays de Gogol, tout est envisageable), je serais tout à fait à la hauteur…
Hélas, personne ne m'a jamais proposé un si joli poste et finalement, ce n'est peut-être pas plus mal car voyez-vous, le risque quand même, c'est de finir au fond d'une prison (bon, je sais, la Sibérie, le goulag… mais évitons les amalgames fâcheux) ou dans un asile de fous, voire coincé dans un appart, un bracelet électronique à la cheville…
Eh oui, c'est ce qui arriva à notre pauvre Yoann Barbereau, oui le directeur de l'Alliance française à Irkoutsk – je répète pour ceux qui ne suivent pas - victime de ce qui en Russie se présente comme une activité, comment dire, pas quasi officielle mais presque : le kompromat…
Quèsaco ? Grosso modo, il s'agit de piéger une personnalité en lui mettant dans les pattes quelque irrésistible jolie poupée de porcelaine aux yeux clairs puis de prendre quelques photos de ladite personnalité occupée à jouer avec ladite créature ou bien de mettre fin à la carrière prometteuse d'une personnalité en vue (tiens, ça vous rappelle quelque chose, on dirait…) en l'accusant de viol, par exemple, sur mineur(e), encore mieux. C'est précisément ce que vécut notre jeune directeur arrêté un beau matin au sortir du lit pour viol sur sa propre fille en particulier et pédopornographie en général. Rien que ça. Inutile de vous décrire le côté kafkaïen de l'affaire…
On a beau ensuite tenter d'expliquer aux gentils messieurs qui prennent soin de nous écouter qu'il doit y avoir une légère erreur sur la personne, rien n'y fait. Vous êtes pris au piège, écrasé, mis en bouillie, détruit et si personne ne s'intéresse à vous ailleurs dans ce vaste monde, on peut penser que vous pouvez dire adieu à votre cher plancher des vaches (avec l'aide ou pas de la DGSE qui face aux Russes semble avoir un peu de mal à se faire comprendre). Il faut compter rester là-bas quinze ans minimum, j'allais dire « au chaud » mais en Sibérie, ce n'est pas franchement le cas (eh, quand même, – 40 l'hiver… je n'irai pas en hiver, c'est sûr, à moins que dans mon Décath' d'à côté, ils se mettent à vendre des doudounes ultra performantes mais même, n'insistez pas et pourtant, ce putain de lac en hiver…) Bon, restons polie et revenons à notre Ivan ou Vania ou Vanka ou bien encore Vanechka (d'accord j'arrête, la littérature russe vous pompe précisément à cause de ces petits jeux sur les noms, donc ok ok ) Yoann : qu'a-t-il fait pour mériter ça, me direz-vous ?
Eh bien le problème, c'est qu'il n'en sait rien. Ou pas grand-chose. Bon, il a un peu batifolé avec la femme d'un notable d'Irkoutsk (mais elle était très très consentante)… C'est pas bien mais ça ne vaut pas 15 ans de Sibérie quand même… Ok, il était copain avec des gens plutôt opposés à notre ami Poutine… Ca arrive… En tout cas, ce qui est sûr, c'est que quelque chose n'a pas plu à quelqu'un et notre Yoann pense que c'est un coup monté par le FSB. (S'il vous plaît, les services secrets russes, ne lisez pas ce qui suit… je veux bien faire une p'tite rando du côté du Baïkal mais je veux aussi rentrer chez moi… J'ai quatre mômes, deux chiens et un poisson rouge qui m'adorent et qui ont encore un peu besoin de moi dans la vie (plus pour longtemps mais quand même)) donc le FSB ? Service Fédéral de Sécurité de la Fédération de Russie (ouh là là… j'ai déjà la trouille, tiens), frère jumeau du KGB soviétique : contre-espionnage, surveillance des frontières, opérations anti-terroristes, lutte contre la corruption et le crime organisé (toussa toussa nous dit Wiki). Officiellement du moins. Ils fonctionnent en lien étroit avec toute la sphère politique et économique. Bref… On peut imaginer quelques légères interactions… interférences (je ne sais pas comment dire moi et je veux rester polie - je veux rentrer chez moi...) entre des mondes qui se côtoient, dirons-nous, le tout pouvant coûter cher aux petits damoiseaux de passage qui ont tapé sur les nerfs d'un petit notable irkoutskien… Ils sont un peu nerveux là-bas (le froid, ça ne détend pas… La vodka, par contre…)
Bon allez, je ne vous révèle pas l'histoire de notre Yoanntchik qui en a des vertes et des pas mûres à raconter (encore un exemple où le réel dépasse très franchement la fiction) : entre des rencontres improbables avec des prisonniers aux trognes incroyables et aux destins bien sombres, des fous au grand coeur et à l'âme perdue à jamais, des tarés des chemins enivrés jusqu'aux os et toujours prêts à en découdre, entre des BlaBlaCar nocturnes et des Airbnb salvateurs, des téléphones portables laissés ici et là, des leurres improbables, des perruques folles et des aides précieuses restées anonymes, il faudra une résistance incroyable à Yoann Barbereau pour fuir l'enfer.
Sans la littérature et l'écriture, rien n'eût été possible car avant que de libérer le corps, il faut à l'âme un certain espace pour pouvoir se mouvoir, des mots qui comblent les vides, qui réchauffent et qui rassurent. Chapeau quand même ! Une sacrée aventure qu'il vous faut, cher lecteur, absolument découvrir !
Promis, avant de partir j'apprendrai quelques vers de Marina Tsvetaïeva ou de Sergueï Essénine. On ne sait jamais...
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Un livre superbement écrit que j'ai dévoré en une nuit ! On est embarqué avec l'auteur dans les cellules, dans ses cavales et surtout dans son amour pour la Russie qui transpire à chaque page, on est avec ses amis et ses amours. Addictif, puissant, émouvant...
Le poète et philosophe Jean-Claude Pinson écrit une critique très juste je trouve :
"Constamment, mezzo voce, la littérature hante, innerve tout le livre. La littérature française bien sûr, de Villon à Aragon, mais aussi la littérature russe. Quelque chose, dans le regard de l'auteur semble venir de celui, si empathique, que Tchekhov sait porter sur les plus démunis. Béhémoth, le chat noir de Boulgakov, celui du Maître et Marguerite, hante aussi de son ombre diabolique tout le livre. En filigrane, c'est également toute la poésie russe qu'on entend dans ces pages, celle qui résonne par exemple dans ce quatrain de Batiouchkov :
Ô mémoire du coeur ! Tu es plus forte
Que mémoire triste de la raison.
Souvent ton charme et ta douceur ressortent
Dans les pays aux lointains horizons"
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critiques presse (1)
LeMonde
13 février 2020
Le résultat est un ouvrage inclassable. Dans les geôles de Sibérie se lit bel et bien comme un roman d’aventures, angoissant et terrifiant, qui met en scène la prison, l’étouffement, une suite de pièges dont le héros ne se sort qu’en comptant sur lui-même.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (99) Voir plus Ajouter une citation
Il y avait des adultes qui abandonnaient les enfants, qui leur faisaient du mal, très mal quelquefois, c’était la pire chose, et pire encore, cet adulte pouvait être son père ou sa mère. Les deux parfois étaient maltraitants. J’ai entendu ce mot, maltraitance, puis plus tard j’ai découvert le champ lexical, j’ai vérifié le sens de certains verbes dans un gros dictionnaire Larousse : martyriser,infliger des sévices, des handicaps irréversibles, violer. Dans l’amour que je portais à ma mère, il y avait cette fierté de la savoir du côté des réparatrices. Je le voyais, elle donnait d’elle-même littéralement au prix de blessures qu’elle ne cachait pas. J’ai parfois entendu rire les enfants dont elles s’occupaient, ce qui me semblait un prodige compte tenu des définitions du dictionnaire.
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La Russie demeurait pour moi un empire, une divagation au long cours qui avait donné le bon docteur Tchekhov, Lénine et Staline, messieurs Kalachnikov et Gagarine, c’était Catherine la Grande, l’amie des philosophes, c’était le profil de la chienne Laïka, imprimé sur un timbre en héroïne, c’était les duellistes Lermontov et Pouchkine, la princesse Maria Volkonskaïa, les yeux fous du tsar Terrible, ceux de Grigori Raspoutine, la longue barbe d’Alexandre Soljenitsyne, c’était l’enfance, la comtesse de Ségur, née Rostoptchina, Marina Tsvetaeva,Anna Akhmatova dans Leningrad assiégé, Boris Pasternak en casquette bolchevique, et coiffé d’un melon Ossip Mandelstam, Vassili Grossman, Emma Goldman rendant visite au camarade Kropotkine, Essénine pendu, Michel Bakounine, Mikhaïl Bakhtine, Mikhaïl Cholokhov, mais surtout le diable Boulgakov, l’enfer de Varlam Chalamov, Lev Chestov, et jouant au tennis Vladimir Nabokov, Vladimir Maïakovski composant une dernière lettre, Maxime Gorki, Joseph Brodsky, Fiodor Dostoïevski, j’allais l’oublier, avec Lev Tolstoï en coutil de paysan – j’y tenais moins qu’à Nikolaï Gogol, moins qu’au bon docteur Tchekhov.
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Rapidement la rancune contre la société envahit le cœur du détenu. Il s’habitue à haïr cordialement tous ceux qui l’oppriment. Il divise le monde en deux parties : celle dont lui et ses camarades font partie, et le monde extérieur, représenté par le directeur, les gardiens et les employés. Une ligne se forme entre tous les détenus contre tous ceux qui ne portent pas l’habillement des prisonniers. Ce sont leurs ennemis, et tout ce qu’on peut faire pour les tromper est bien. Aussitôt libéré, le détenu met sa morale en pratique. Avant la prison, il pouvait commettre des méfaits sans réflexion, maintenant il a une philosophie à lui, qui peut se résumer dans ces mots de Zola : “Quels gredins que les honnêtes gens !”
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Quiconque a vécu en Russie au début du XXIe siècle, au début ou peut-être un peu avant, longtemps avant, peut-être longtemps après, celui-là s’est trouvé dans ces situations à la fois rocambolesques et attendues, lorsqu’un flic laisse entendre que, oui, quelques billets feront l’affaire et permettront au voyageur de poursuivre sa route sans anicroche, ou lorsque l’infinie folie bureaucratique prend de telles proportions qu’on n’en trouve plus aucun équivalent nulle
part, ni chez Gogol, ni chez Kafka, lorsque l’on est mis en présence de tels pantins, prisonniers de logiques aussi parfaites qu’aberrantes, tellement burlesques, tellement talentueux, tellement butés que les personnages de Beckett en deviennent sans surprise, ou encore lorsque les éléments de ce folklore foutraque se combinent – paperasserie absurde, flicaille gauche et gourmande, chefaillons lunaires, guichetiers aussi enivrés que créatifs, malices, farces et attrapes – pour créer des situations telles que, pendant de longues semaines, des mois voire des années, on en fait des récits loufoques et proverbiaux, on se les répète entre amis, on se les transmet comme des paraboles, des recettes culinaires ou des viatiques pour temps d’orage.
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La prison n’est pas un lieu pour les endormis, les faibles y périssent. « Le tri est fait en un clignement de paupière », m’a dit Vladimir un jour que je me plaignais au parloir ; ce fut ma première et mon unique jérémiade. La dégringolade arrive vite, on a tôt fait de devenir la proie, le rouge ou le coq. La prison est un exercice spirituel et corporel. C’est une représentation, une ascèse, une lutte. Oncle Sania me demande si je connais le dessin de Victor Hugo qui représente de manière exacte notre promenade. Je lui fais confiance, il existe quelque part. Un jour, je vérifierai. Je lui parle de La Ballade de la geôle de Reading , quand Oscar Wilde évoque les singes et les clowns qui en silence tournent sans fin. Je n’avais pas les vers en tête, mais j’avais en moi leur empreinte et la certitude qu’ils disaient ma promenade.
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Voici une histoire à peine croyable. Il y a tout pour faire un bon roman d'espionnage : l'amour, le sexe, les services secrets, la prison, l'hôpital psychiatrique et même une évasion spectaculaire… Tout pour faire un roman, sauf que c'est une histoire vraie !
« Dans les geôles de Sibérie » , de Yoann Barbereau, c'est un récit publié aux éditions Stock.
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