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Critique de Kirzy


Kirzy
10 novembre 2022
°°° Rentrée littéraire 2022 # 44 °°°

L'ogre, c'est le général Rafael Trujillo qui a dirigé la République dominicaine de son coup d'Etat en 1930 jusqu'à son assassinat en 1961. Un des dictateurs les plus sanguinaires et extravagants d'Amérique latine, contrôlant son pays par la terreur mené par sa police politique, le SIM ( Service du renseignement militaire ) qui recourait à la torture systématique d'opposants, confondant son patrimoine avec l'Etat au point de bâtir un empire économique par l'extorsion et l'intimidation qui en fit un des cinq personnes les plus riches au monde de son époque. Il a ordonné le massacre à la machette d'au moins 20.000 Haitiens travaillant dans les plantations sucrières. Sa mégalomanie lui a fait dépenser des dizaines de millions de dollars pour ériger des édifices dans un style néo-mussolinien et organiser une culte de la personnalité hallucinant en tant que « Bienfaiteur de la patrie ».

La fille, c'est son aînée, Flor de Oro, figure aujourd'hui tombée dans l'oubli après avoir été sous les feux des projecteurs, que Catherine Bardon a exhumé des limbes de l'Histoire pour nous en proposer une biographie romancée, imaginant de quoi étaient tissées son enfance, sa jeunesse, sa vie de femme jusqu'à sa mort en 1978 à 63 ans, et comment elle a assumé cette écrasante filiation.

Catherine Bardon fait le choix de coller au plus près à son héroïne, cherchant à percer l'opacité de Flor de Oro pour découvrir ce qui se cachait derrière le sourire affiché sur les photographies. Même si le récit dessine en creux l'histoire de la dictature de Trujillo, le contexte historique n'est clairement pas au premier plan. Par appétence personnelle, j'aurais apprécié qu'il soit plus présent ou plus développé. Car finalement, on ne saura que peu ce que pensait Flor de Oro des actes terribles de son père, trop accaparée à tenter de vivre malgré tout, refoulant la vérité pour ne pas sombrer. Cela m'a clairement manqué et cette lacune, même volontaire, a enlevé de la densité à cette lecture.

La fille de l'ogre est l'histoire d'une dérive, d'une vie malmenée et mal menée dès son enfance, envoyée dans une solitude extrême pendant huit ans dans un prestigieux pensionnant français, le collège privé féminin de Bouffémont, pour la préparer à tenir son rang de fille de président. L'auteur a un talent de conteuse évident qui nous entraîne sur ses pas, de Ciudad Trujillo à Berlin, de Rome à New-York, parvenant à dire ce qu'on devine ou ce qui se dérobe, avec un souci du constat psychologique.

Flor de Oro Trujillo n'a cessé de se tromper. Toute sa vie, elle a été une petite fille amoureuse d'un père qui ne lui a jamais qu'il l'aimait, victime d'une tache originelle impossible à laver aux yeux du père : sa goutte de sang noir qui s'exprime dans sa peau mate et ses cheveux indisciplinés, appelant à son père une ascendance qui lui fait honte, lui qui se poudrait pour dissimuler sa peau jugé trop sombre. Toute sa vie elle a couru après son affection, cherchant son assentiment tout en cherchant à le fuir car lui ne pensait qu'à l'utiliser, la contrôler, la surveiller. Triste échappatoire, elle a cru fuir par le mariage. Neuf maris épousés selon un schéma immuable : flirt, colère du père qui refuse que sa fille ait des aventures hors mariage, mariage, disgrâce, fuite à l'étranger, retour dans le giron paternel à coup de gros virements bancaires.

Forcément, c'est un peu répétitif tant Flor de Oro est enfermée dans ce marathon matrimonial infernal doublé d'un jeu sadique de son père qui jamais ne desserrera son licol. On referme le livre pas nécessairement ému mais touché par la tristesse de cette vie qui s'apparente à une descente aux enfers entre alcool, vie nocturne dissolu et dépression, dont seul surnage son amour malheureux pour son premier mari, le playboy mi-espion mi-diplomate Porfirio Rubirosa qu'elle épouse à 17 ans et aimera toute sa vie.
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