Citations sur La Fille de l'ogre (37)
Flor a affûté ses arguments. Talons hauts, yeux charbonneux, lèvres cramoisies, ongles laqués, robe longue en taffetas de soie vert, magnifique contraste avec sa peau cannelle, décolleté ravageur dans les reins. Attablée avec une poignée de happy few, grand sourire plaqué sur le visage, Flor encaisse cuba libre sur daïquiri entre deux bouffées de cigarette.
(page 258)
Elle parle français et anglais couramment, un peu d’allemand, connaît Ovide et Léonard de Vinci, Brahms et Verdi, la recette du bœuf bourguignon et celle des crêpes, maîtrise le point de boutonnière, sait distinguer un couteau à viande d’un couvert à poisson, elle joue au golf, au tennis, crawle, et surtout elle monte à cheval à la perfection. C’est là qu’elle excelle. Une cavalière à la hauteur de son père. Elle brûle de le lui prouver. Alors oui, ces années françaises lui ont été bénéfiques.
(page 53)
Elle a copié le style des mannequins des revues de mode et espère afficher une sorte d’élégance « à la française ». C’est un peu raté, Flor n’est pas très jolie, ni très grande, ni très classe. Ce n’est rien qu’une jeune fille de dix-sept ans aux allures de métisse, qui se cherche encore. Mais peu importe, elle est la fille du président et cela lui confère une aura très tangible.
(page 54)
« 95 % des votes, tu te rends compte mi’ja ? Le soutien de toute l’élite du pays, du jamais vu, un exploit ! » Ce qu’elle omet de préciser, Aminta, c’est que, menacés de mort, les opposants politiques ont préféré jeter l’éponge ; que, contraints à la démission, les membres de la commission électorale ont été remplacés par des hommes à la botte ; que la campagne électorale s’est déroulée dans un climat de véritable terreur.
(page 48)
Elle a été courtisée, désirée, brandie comme un trophée, jalousée, trahie, rejetée, négligée, humiliée, abandonnées, oubliée.
A-t-elle été aimée, seulement un peu ?
(page 391)
Flor est loin d’être la plus populaire des pensionnaires. Petite, maigre, cheveux frisés, des jambes comme des pattes de héron… Sa goutte de sang noir la dessert, elle vient d’un pays si petit qu’on ne sait même pas le placer sur le planisphère, on n’a jamais lu le nom de son père dans les journaux.
(page 28)
Le Jefe est devenu une caricature, engoncé dans son insupportable suffisance de tyran, éclaboussant tout le monde de son inébranlable foi en lui-même.
(page 292)
De loin, Aminta a assisté à la scène, impressionnante. Inutile de s’interposer. Elle a peur de cet homme, son mari. Il a toujours été autoritaire, colérique, inflexible et violent, et ça ne fait qu’empirer avec cette formation militaire.
(page 11)
C’est un pur bonheur de retrouver la caresse de la brise iodée, l’odeur humide de la terre rouge, le parfum douceâtre des orchidées sauvages, les notes colorées des cases isolées, la voûte fraîche des manguiers, les palmes qui frissonnent, les paysages naïfs des lomas dolentes qui ondulent jusqu’à buter sur les montagnes aux flancs plantés de forêts.
(page 57)
Engourdie sous une chape de peur, Ciudad Trujillo est devenue léthargique à force de servilité. On n’ose plus sortir et on n’a plus guère le cœur à s’amuser dans cette ville agonisante, une ville de couleurs ternies, de parole muselée, de rires oubliés.
(page 244)