Des livres qui relatent une histoire d'amour vouée à l'échec, il y en a des tonnes. Des livres qui retracent l'histoire d'un pays à travers le destin d'un personnage, aussi. Des histoires de regrets, de temps qui passe, de temps perdu, de tout-fout-l'camp, de si-j'avais-su, de gâchis.
Alors pourquoi lire
Sebastian Barry ?
Tout simplement parce que Jack McNulty, son "Homme provisoire", n'est à nul autre pareil. Il est vrai, ou du moins vraisemblable. Comme vous, comme moi, comme nous tous, un destin particulier lui est échu, qui le distingue du commun des mortels. Et c'est ce destin qu'il tente de décrire, d'écrire, depuis le fin fond du Ghana où il se trouve suite à son veuvage.
Il écrit , à dire vrai, lorsque la boisson lui en laisse le loisir. Car Jack est un ivrogne invétéré. Et ses moments de lucidité, ses moments d'écriture, il les passe à remonter le courant de sa vie, faite de rendez-vous manqués. Sans complaisance aucune. Lorsque le rêve d'indépendance de l'Irlande a été noyé dans un bain de sang, et qu'il avait la tête ailleurs. Lorsqu'il a courtisé la plus gaie, la plus vive des filles de Sligo, et qu'il s'est présenté ivre mort chez ses parents. Lorsqu'il a ruiné leur ménage, alors qu'ils avaient une maison confortable et des revenus assurés. Lorsqu'il a entraîné sa femme dans la boisson, la dépression, et s'est aussitôt engagé pour fuir sa famille durant la Seconde Guerre mondiale, alors que tous les Irlandais s'en foutaient....
Tous ces épisodes, et bien d'autres, Jack les remâche, les savoure, les recrache, et malgré la bassesse de ses actes, leur vilenie parfois, même si le flot de ses mots est difficile à suivre par moments, on se prend au jeu, et on accompagne cet homme seul sur le chemin de croix qu'il a tracé lui-même. Il y a quelque chose d'héroïque à décrire tant de médiocrité, à chercher un dernier sursaut de vie, et quelque chose de beau à se dire que toute chute s'accompagne finalement d'un rebond ...