La mémoire d'un homme contient une centaine de jours, alors qu'il en a vécu des milliers. C'est ainsi. On dispose d'un stock de jours, qu'on dépense comme des ivrognes sans cervelle. C'est pas une critique, juste une constatation.
Le deuil dure environ deux ans, paraît-il, c'est une platitude sortie des manuels pour endeuillés. Mais nous portons le deuil de notre mère avant même d'être nés.
La mémoire, il me faut le croire, si elle est délaissée devient une sorte de pièce remplie de boîtes ou un débarras dans une vieille maison, son contenu est tout mélangé, peut-être pas seulement par négligence mais aussi à force d'y chercher au petit bonheur et, par-dessus le marché, d'y jeter des choses qui n'ont rien à y faire.
Comment une bonne histoire devient-elle une mauvaise histoire au bout d'un certain temps ?
C'est une des grâces de la vie maritale que pour une raison magique nous paraissons toujours le même aux yeux de l'autre. Même nos amis n'ont jamais l'air de vieillir. C'est une vriae bénédiction dont je ne me suis jamais douté quand j'étais jeune. Mais voyons, autrement , que ferions-nous ? Il ne s'est jamais trouvé personne dans une maison de retraite qui n'a pas regardé d'un air dubitatif les autres résidents. Ce sont eux les vieux, ils forment le club dont personne ne veut faire partie. Mais nous ne sommes jamais vieux à nos yeux. Parce que, à la fin du jour, le bateau sur lequel nous naviguons est notre âme, pas notre corps.
C’est rare d’avoir du baume au cœur, il faut stocker ces moments pour pas les oublier.
Il y a beaucoup de monde sur terre, alors quand il s'agit de massacres ou de famine, de vivre ou de mourir, on compte pas vraiment. Il y a trop de monde. On pouvait bien mourir de faim dans les marais, dans ce désert qui en était pas un, dans ce voyage qui était moins un voyage qu'une fuite vers l'Est. Les gens meurent sans cesse, par milliers, partout. La terre s'en moque, ça lui est égal.
Parfois, on sait qu'on est pas très intelligent. Pourtant, parfois le brouillard de vos pensées se lève, et on comprend tout, comme si le paysage venait de se dégager. On se trompe en appelant ça sagesse, c'en est pas. Il parait qu'on est des chrétiens, des choses comme ça, mais c'est pas vrai. On nous raconte qu'on est des créatures de Dieu supérieures aux animaux, mais tout homme qui a vécu sait que c'est des conneries.
Vivre, c'est pas juste prendre et agir, c'est aussi réfléchir. Mais mon cerveau est fait pour englober le monde. (p. 216)
Les hommes qui commencent durement dans la vie paient chaque cent d’une dette qui finit par se comptabiliser en dollars. S’il avait été beau dans sa jeunesse, il était maintenant une beauté hypothéquée. Les rats de l’âge le guettaient depuis l’ombre.