[...] Le plus grand saint n’est pas celui qui est exempt de péchés, mais celui qui a le plus gravement péché, et qui s’en est le plus détaché.
Chaque phrase est ciselée. On sent l’art. Cioran pense en artiste. La pointe est le péché de celui qui veut plaire. Mais ce ne sont pas que des artifices : quelque chose appuie, comme une trouée dans le sens des choses.
Sur les deux versants qui composent son oeuvre, roumain et français, Cioran semble être le héros d'un conte de Villiers de L'Isle-Adam, un tortionnaire de la délicatesse morale dont l'âme chante à reculons.
[…] C’est une chose de se lamenter, c’en est une autre de travailler ses lamentations, d’en analyser les béatitudes.
Si l'on a débuté avec la mort de Cioran, c'est qu'il fallait en passer par ce qu'il n'a cessé de ruminer : la vie n'est-elle pas la conscience de la mort en sa profondeur ? (p.18).
Cioran ! Je te salue comme on se quitte : pour toujours. Le cercueil est emporté. Devant lui, un clochard goguenard. Posté à la porte de l'église, il crache des insultes atroces et précises. Il s'amuse qu'un écrivain ait pu écrire Sur les cimes du désespoir pour mourir à près de quatre-vint-cinq ans. Quelqu'un l'aura renseigné : cette aumône en vaut une autre. Rien ne peut le faire taire : spectacle affligeant, et tellement bouffon qu'il efface toute tristesse. On touche le fond de l'horreur et de l’hilarité.