Citations sur Que va-t-on faire de Knut Hamsun ? (26)
L'avocat général Sven Arnzen avait fait paraître dans le journal l'Aftenposten un communiqué où il expliquait que Knut Hamsun avait déjà quatre-vingt-six ans, que selon les psychiatres il présentait un affaiblissement durable de ses capacités intellectuelles et que, pour ces raisons, il s'abstenait de requérir l'application de la loi pour les faits dont l'écrivain était accusé.(…) Hamsun découvrait dans la presse articles et éditoriaux: fallait-il l'inculper? Fallait-il, étant donné son âge, le laisser terminer sa vie tranquillement, à l'écart certes, avec obligation de dédommagement financier aussi, mais tranquillement? que va t-on faire de Knut Hamsun? voilà en résumé, une fois encore, ce qu'il lisait dans les journaux. (…) Il le criait haut et fort depuis le début de l'instruction, il voulait un jugement. Devant un tribunal ordinaire, il avait des chances d'être acquitté.
Qui pourrait se douter de la torture des mots ? De l’immense joie aussi. Qui pourrait saisir les sons et les silences placés dans une phrase, le vertige de créer un personnage, l’abîme de la peur, le désarroi quand le texte prend la forme d’une route tortueuse et qu’il faut redresser, redresser encore, comme le mât d’un bateau, toutes voiles tendues, chercher l’issue, jusqu’à perdre la tête.
Et l’extase, ensuite, la délivrance, de même la femme qui fait naître l’enfant. Les mots aspirent la vie, grandissent en son sein, arrivent au monde sous la plume de l’écrivain. Le pasteur n’a lu cela nulle part dans les livres saints. Parce que les livres saints sont des histoires dans lesquelles l’homme terrestre n’est pas créateur.
Quelqu'un s'était débarrassé de ce fauteuil et il avait atterri à l'hôpital de Grimstad. Comme lui. Usé par le temps et la guerre. et ses rêves de politique de la terre, c'est bien ce qu'avait écrit Hitler, mener une politique de la terre. Il avait lu ces lignes, avait senti sa poitrine se gonfler, allait-on enfin comprendre l'importance du sol, du terroir, et moins penser au monde moderne, s'éloigner de cet affolement industriel qui entraîne les foules vers un faux espoir, une chimère, la désillusion certaine, le chagrin, allait-on comprendre le principe de la moisson?
Que pouvait-il lui dire, vous avez cru en moi, vous avez lu mes livres, vous les avez aimés, et vous m’en voulez de me détester aujourd’hui. Vous m’en voulez de votre douleur. J’ai certaines idées sur la Norvège, je les ai défendues sans me cacher, je n’ai pas menti.
Il n’était pas atteint de démence, ni aujourd’hui, ni pendant la guerre, si c’était cela qu’on cherchait à mettre en avant. Non, il avait fait un choix politique. Il avait pensé qu’il pouvait aider la Norvège.
Ils disent que je suis un traître. Je suis un traître mais mon procès est reporté. Je suis un traître qu’ils ne veulent pas juger.
Je suis en paix avec moi-même, j’ai l’esprit pur et la conscience nette. On nous avait fait miroiter qu’on réserverait à la Norvège une place de choix, une place éminente dans la société de la grande Germanie, qui était alors en gestation et en laquelle nous croyions tous. J’ai bien dit tous !
Chaque jour il tentait quelques liens avec l’extérieur, admirer le ciel, sentir le vent, apercevoir un taillis, un arbrisseau. Mais il ne voyait rien, des murs et encore des murs, avec parfois un judas. Il voulait respirer l’air pur. Marcher dehors devint un songe, un rêve. On lui dit bientôt, on lui dit plus tard, pendant ce temps la nature crépitait de l’autre côté. Dans la pénombre de ses yeux malades et de l’asile psychiatrique la vie rétrécissait.
Maintenant il se trouvait à l’hôpital et attendait, un jour après l’autre. C’était l’été et pourtant il vivait sous la pluie. Une goutte, deux gouttes, trois gouttes, la pluie comme les mots qu’il distillait sur un carnet, un mot, deux mots, trois mots, seulement rien ne se construisait, aucun texte, aucun personnage. Il écrivait par habitude. Juste pour lui. La pluie, les mots, le temps s’écoulaient, sept, huit, neuf…
Usé par le temps et la guerre. Lui et ses rêves de politique de la terre, c’est bien ce qu’avait écrit Hitler, mener une politique de la terre. Il avait lu ces lignes, avait senti sa poitrine se gonfler, allait-on enfin comprendre l’importance du sol, du terroir, et moins penser au monde moderne, s’éloigner de cet affolement industriel qui entraîne les foules vers un faux espoir, une chimère, la désillusion certaine, le chagrin, allait-on enfin comprendre le principe de la moisson ?