A chaque nuit noire succédait une aube de sang. Tous les matins, je lisais dans les nuages des présages de défaite, de santé fragile, de fin précoce. Les cieux me semblaient pourrir au-dessus de nous.
- Pourquoi cet acharnement, Néphê. Pourquoi la lecture et l'écriture sont-elles capitales à vos yeux? Il ne s'agit que de savoirs parmi d'autres.
- Ceux-là peuvent tout changer, Phérés. peuvent tous nous changer.
Tout ce qui était étranger à notre race et à ses coutumes ne revêtait pas la moindre importance à nos yeux. N'était-ce pas une erreur ?
Je ne vois pas Phérès, mais alors vraiment pas, comment une cité où tous les citoyens seraient égaux en droits et en devoirs pourrait être viable...
Les esclaves seuls savent l'invisibilité véritable.
Mon destin n'était pas tout tracé comme mes parents, en me prodiguant l'éducation d'un futur chef, me l'avaient laissé croire. Des forces plus hautes, plus redoutables, étaient intervenues pour le modifier. Des trafiquants d'esclaves l'avaient métamorphosé. Je ne savais ce qui m'effrayait le plus, que des instances surnaturelles m'eussent précipité dans l'abîme ou que de simples hommes s'en fussent chargés.
Il me déplaisait d'habiter un monde où les hommes étaient autant à craindre que les dieux.
Vendre son or ou le laisser prendre était comme se séparer de ses enfants.
Les gouttes d'eau ruisselaient sur mon corps comme autant de mains au toucher insistant, tour à tour brulant et glacé.
Des mots me fuirent. Des mots que j'aurais préféré ne pas entendre. Néanmoins c'était bien ma bouche qui les proférait :
"Des choses qui arrivent, oui, quand on se donne au vin! c'est ma faute, bien sûr. Ma faute. (...) Je n'ai même pas été capable de...je suis lâche. Je suis sans force. La honte de ceux qui sont morts. Je me dégoûte. Je me dégoûte."