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Critique de CDemassieux


Je crois que je ne pouvais rêver meilleure introduction à Gustave Thibon que ces entretiens avec un homme accroché à la terre comme les racines d'un arbre, penseur bien éloigné des sachants de salons.
Ami sincère de la philosophe d'origine juive Simone Weil – à ne pas confondre avec la femme politique Simone Veil ! –, dont il n'oubliera jamais le souvenir tendre, Gustave Thibon c'est un attachement à la tradition qui ne verse pas dans la fascination du totalitarisme – procès d'intention d'ailleurs souvent fait aux amoureux de la France charnelle.
Ces entretiens, donc, coulent de source ; une source ardéchoise de préférence, là où naquit et mourut Gustave Thibon. On voyage dans le temps et la pensée d'un homme qui aura fait de grandes rencontres, connu une vie de savoir, d'émerveillement, sous le manteau protecteur de la foi.
Il y a surtout une poésie douce, et non moins inquiète, dans ces échanges avec Philippe Barthelet, lequel, par son érudition, sait relancer avec brio Gustave Thibon qui, dans sa simplicité, produit d'aussi belles phrases : « En fait de poésie et de littérature en général, je me sens extrêmement hospitalier. C'est un domaine où je pratique un oecuménisme sans réserve. Je n'ai pas ces préférences massives et ces exclusions absolues qui sont assez fréquentes » Plus loin, on peut lire : « En effet, la poésie doit éveiller et garder éveillé. Mais éveillé à quoi ? À ce qu'il y a d'éternel dans l'homme, à la vie profonde, non mécanisée… »
Thibon avait un attachement particulier à la monarchie, reliée à Dieu évidemment : « Il y a dans l'institution monarchique une sorte de transparence au divin, une délégation de pouvoir de Dieu lui-même. » Ou encore : « Il y a un mystère royal, qui est la forme la plus parfaite du mystère de toute autorité. »
Au sujet de Dieu, Thibon fait crédit – du latin credere, qui donne « croire », explique-t-il. « Et c'est aussi la beauté du christianisme, qui exige ce saut dans l'inconnu. »

Et à ceux qui hurleraient au loup d'Ancien Régime, je rappellerai, de manière peut-être outrancière, que la démocratie, par les urnes, a donné Hitler en Allemagne… « Les tyrannies n'ont pas de meilleur terreau que la décomposition des démocraties », dit encore Gustave Thibon.
Loin de de ces spécialistes philosophes de notre époque, qui savent si bien tout sur tout qu'ils n'ont plus que le vide à remuer pour parler, Gustave Thibon avance humblement dans le savoir : « Un philosophe, encore une fois, ne doit pas prétendre avoir réponse à tout, mais il doit connaître l'art de situer les questions. »
Gustave Thibon constate que notre temps – c'est-à-dire les années 1980, mais la suite lui donne raison – se détache de son passé, ses traditions : « La perte de la mémoire [dangereusement déléguée aux machines selon lui] est à la fois oubli du passé et effacement de l'éternel. […] Aujourd'hui, on a abandonné le temps à lui-même : comme il n'est plus imprégné d'éternité, il tend vers la discontinuité pure. »
Gustave Thibon avait compris l'emprise du fameux entertainment (divertissement), qui sert des intérêts plus sombres : « Non seulement donner les choses en spectacle contribue à les dénaturer, mais par-dessus le marché on choisit parmi ces choses que l'on donne en spectacle. Ce qui permet aux pouvoirs, aux lobbies ou mafias divers d'orienter l'opinion dans le sens désiré. Les préférences massives, la partialité, l'intolérance, ne sont pas même déguisées… »
Et dans cette société où règne la machine, « il y a un danger énorme de robotisation de l'humanité, c'est-à-dire, à travers l'érosion de la mémoire dont nous parlions, de perte des sentiments profonds – d'érosion de l'intelligence, de l'âme et du coeur ».
Que faire ?
« Il faut donc opérer une révolution en soi-même, se créer une conscience à l'épreuve des modes, des opinions, des pressions de la foule, pour se dégager des conformismes sociaux et s'y opposer. »
Mieux : « C'est de la qualité des êtres que dépend plus que jamais l'avenir de la civilisation. »
Gustave Thibon est mort en 2001 et n'a, de ce fait, pas vu la catastrophe du monde présent. Il n'en reste pas moins que ces entretiens sont une lumière, petite certes, mais toute lumière peut éclairer les consciences et les âmes…

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