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Critique de Ys



A 46 ans, Monsieur F. est l'homme le plus lisse, le plus impersonnel qu'on puisse imaginer. Si lisse, si impersonnel en vérité qu'il en devient extraordinaire et comme subtilement monstrueux. Chaque matin, il se lève à la même heure, enfile le même costume, emprunte le même train, le même itinéraire soigneusement calculé pour échapper à la foule, se rend au même travail dans la même entreprise. Rue de la Peau. Où il assemble et découpe les fourrrures qui deviendront des manteaux, achetés à prix d'or pour orner les épaules d'une élégante, affirmer la fortune et l'importance d'un époux ou d'un protecteur.
Depuis plus de trente ans, sa vie n'est que la répétition des mêmes gestes, parfaitement corrects, parfaitement maîtrisés, d'une routine impeccable que personne n'est jamais venu troubler, ni homme ni femme, ni amant ni ami.
Mais voilà qu'un jour de janvier 1967 - une nuit plutôt - une chose étrange, bouleversante, arrive à Monsieur F.
Il se met à rêver.
Ou plus exactement, se retrouve hanté par un rêve, le même, toujours le même au détail près, de plus en plus fréquent, qui l'éveille au milieu de la nuit, bouche ouverte sur un hurlement de terreur. Dans ce rêve, une succession de gestes familiers, son appartement bien connu - puis dans le miroir de la salle de bain, le corps nu d'un jeune hoomme, suspendu, ligoté, comme la dépouille d'un superbe animal sur l'émail blanc de la baignoire. Peau parfaite, boucles brunes, muscles déliés, sans visage.
Il va bien falloir lui en trouver un, pourtant, de visage - et l'obsession peu à peu bascule du domaine des songes au réel.

Neil Bartlett offre ici une troublante déclinaison de la Belle et la Bête, où les désirs enfouis grignotent le banal jusqu'au vertige.
Le récit, très lent, d'une précision méticuleuse, est aussi habile à peindre un métier, un quartier aujourd'hui disparus, qu'à rendre la progressive perte de contrôle d'un homme qui n'a jamais vraiment été vivant, et que la vie cherche soudain à rattraper. Tout cela se tend, millimètre par millimètre, vers un point de rupture qu'on n'imagine pas sans frissons mais dont l'ampleur ou la nuance sont bien difficiles à deviner.
C'est d'une sensualité superbe et cela réussit, par dessus tout, à rendre ce personnage en apparence si terne extrêmement fort et attachant. Ce qui, côté style, avait un peu retenu mon enthousiasme pour le Garçon dans l'ombre est ici mieux maîtrisé, plus subtil. La manière dont le narrateur, le conteur plutôt, observe son objet, suppute, insinue, révèle des fragments de son âme sans jamais entièrement lever le voile, participe de ce brin de mystère qui fait la force des contes et rend le récit particulièrement fascinant.
A déconseiller, tout de même, à ceux qui cherchent de l'action et des dénouements bien tranchés - mais les lecteurs sensibles aux ambiances, aux petits riens, aux détails banals ou étranges qui s'additionnent pour créer peu à peu un suspense subtil, pourront se régaler.
Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
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