Je ne pleure pas parce qu’il est mort, je pleure à cause de la vie qu’il a menée, et je le sais, parce qu’il me l’a dit.
Debout, tentant de ne pas respirer trop fort, heureux qu'il n'y eût pas de miroir devant eux qui eût pu révéler au garçon l'expression de son visage, Monsieur F. sentit tout ce qu'il y avait de vague dans son désir se cristalliser soudain en un unique but : faire ce seul geste, simple et tant attendu. Et, évidemment, dans cette si grande proximité et placé comme il l'était derrière lui, il eût pu très facilement le satisfaire. La nuque du garçon n'était qu'à quelques centimètres. Il eût pu tout simplement se pencher, pousser la fourrure de côté, embrasser la peau qui attendait, et ensuite allonger les doigts (ceux de la main droite) sur la nuque et dans les cheveux du garçon.
Rien n'allait l'empêcher de faire cela, au moins cela. Rien du tout. Rien.
Je vais commencer par là, si vous voulez bien.
C'est l'histoire d'un garçon, debout sur les rails d'une voie de chemin de fer.
Un petit garçon, de huit ou neuf ans tout au plus, semble-t-il, pas bien grand, pas bien épais non plus pour son âge. Il se tient les bras le long du corps, les jambes rivées l'une à l'autre. Vu de dos, on dirait qu'il fixe quelque chose droit devant lui, en une sorte de défi - mais dans un instant, nous allons voir qu'en fait il ferme les yeux, le plus fort possible. Ses épaules sont étrangement musclées, ses cheveux sont en bataille, et il est quasiment nu. Il porte un caleçon de toile usée, rien d'autre, et, au pied droit, une chaussure en cuir lacée à la hâte. Son corps est tout bronzé, comme du pain d'épices. Devant lui, la voie de chemin de fer s'étire en ligne droite, et les rails se perdent au loin dans la campagne anglaise, dans la brume d'un de ces beaux matins de la mi-septembre.