AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Dans la baie fauve (29)

Je tourne les talons et me laisse guider par toi pour traverser la place, le marché, la ville, jusqu’à la voiture. Je verrouille les portières pour nous protéger du monde, des marchands ambulants et des passants, des nomades et des promeneurs. A travers le pare-brise, j’observe tous ces individus qui marchent dans la rue, qui sont juchés sur des tabourets des cafés, qui font la queue dans l’abribus. Je sais que chacun a un écran miniature dans sa poche. Je sais que chaque écran a une liste de personnes qui sont ailleurs et possèdent elles aussi un écran miniature. Je sais que dans chaque poche une femme blonde murmure pour rappeler à ceux qui la transportent qu’ils sont reliés.
Assis dans notre capsule calme et verrouillée, j’essaie de me représenter en détail la vie de ces gens, afin qu’ils semblent plus familiers, moins déroutants. J’essaie de me représenter la couleur de leurs murs, le bric-à-brac sur la table de leur cuisine, la vue de leur fenêtre en façade. Mais j’ai beau faire, je ne vois que le jaune d’or de mes murs à moi, mes stylo-billes vides, la vase de ma baie.
Commenter  J’apprécie          160
J’ai apporté une thermos et je la pose sur le galet le plus plat. Le café est trop chaud, je le sais, mais je me suis toujours demandé quel effet ça faisait d’en boire à la plage. Toi aussi, tu as trop chaud ? Tu respires par petites bouffées rapides. Je tire sur ton collier pour t’entraîner jusqu’à une mare dans les rochers, je te hisse dedans, je recueille de l’eau au creux de mes mains pour asperger ton encolure et ton ventre. Lorsque la mare redevient étale, tu restes où tu es. Tu observes les crevettes autour de tes pattes, essaies de mordre l’eau, la recraches par les narines en toussant.
Tu finis toujours par revenir vers moi. Cette fois tu t’appuies contre mes chevilles croisées, près du galet avec la thermos. Regarde les champs là-haut, au-delà des résidences secondaires. Tu te souviens qu’ils paraissaient uniformément verts lorsqu’on est passés devant ? Mais vus d’ici, ils sont taupe, vert menthe, vert émeraude et vert citron.
Ils sont interrompus par un terrain de golf et des pavillons épars. Des granges, des voitures, des bottes de foin et des arbres. Des vaches qui se déplacent aussi imperceptiblement que les aiguilles d’une horloge, et arrivent à destination sans en avoir l’air. Maintenant regarde l’océan, et ce qui l’interrompt. Un rocher herbeux couvert de cormorans. La bouée d’un casier à homards. Quelques voiliers au loin. Un baril bleu, probablement relié à quelque chose sous l’eau. Et un cargo contournant une balise pour entrer dans le port.
Commenter  J’apprécie          140
Dès que je vois un cargo, je commence à me représenter les différents objets enfermés dans chaque conteneur, puis tous les composants qui ont servi à les fabriquer, puis tous les composants des composants, et ainsi de suite, à l’infini. Comme la mise en abyme sur les boîtes de levure chimique Royal Baking Powder. Du temps où j’étais à peu près grand comme la table et om je voyageais à l’arrière de la voiture de mon père, un jour on a longé la grand-rue pour traverser la ville, et je me souviens d’avoir vu par la vitre une femme debout à sa porte. Un instant plus tard, elle a tourné les talons et est rentrée, refermant la porte derrière elle, et bien sûr je ne le voyais plus. Je sais que ça paraît insignifiant, mais c’était la première fois que je prenais conscience que la vie des autres continuait. Tout le temps, hors de ma vue et sans moi. C’était la première fois que je prenais conscience que tout continuait sans fin. Envers et contre tout, sans relâche.
Commenter  J’apprécie          90
Le soir, on regarde la télé. Tu aimes les documentaires animaliers, en particulier ceux avec des chants d’oiseaux stridents. Moi je préfère les émissions de société. J’aime bien les gens qui, en l’absence de script, cherchent leurs mots ou ne disent pas ce qu’il faut. J’aime bien ceux qui n’ont pas besoin d’oignons pour pleurer ; ils pleurent même mieux.
Je n’ai pas vécu comme les personnages des séries télévisées. Je n’ai pas fait la guerre, ne suis pas tombé amoureux. Je n’ai jamais donné un coup de poing à quelqu’un non pris une femme par la main. Je n’ai jamais mené grand train ni eu la belle vie, et pourtant je veux croire que j’ai vécu intensément, que j’ai remis en question et analysé mon existence vide, banale, et l’ai parfois même comprise. Depuis toujours je remarque les petits détails, les plus anodins. Un chewing-gum en forme de ptérodactyle. Une anguille de sable à deux têtes enroulée à l’intérieur d’un coquillage. Le filament de tungstène dans les résistances. J’ai lu beaucoup de journaux. Ils s’empilent sur la table basse pendant des semaines avant que j’entreprenne de les recycler. Je sais comment la société devrait fonctionner. Je la trouve absurde, mais je finis par croire que c’est parce qu’elle l’est réellement.
Je ne suis pas le genre de type qui agit – je ne te l’aurais pas déjà dit ? Je m’allonge et j’attends que la vie laisse son empreinte sur moi.
Commenter  J’apprécie          70
 Voilà comment les gens survivent, en comblant un vide à la fois pour une infime gratification temporaire, et en recommençant jusqu’à ce que la saison se termine et qu’ils finissent par mourir, par se dessécher sur le mur ou l’allée, dans leur crevasse sombre. Voilà comment la vie est rongée de l’intérieur, épuisée par les efforts onéreux pour la vivre.
Commenter  J’apprécie          70
« À quoi je peux ressembler, vu de ton œilleton solitaire? Tu m’arrives tout juste au mollet et je suis massif comme un rocher. Mal fagoté, avec une barbe mitée. Les traits passés au rouleau compresseur, le poil pareil à de la limaille de fer. Quand je reste immobile, je me voûte sous le poids de mon propre bloc de peur. Quand je marche, je clopine sur mes pieds de cul-terreux et mes jambes mal proportionnées. Mes rotules calleuses sortent par les déchirures de mon jean et mes mains battent l’air maladroitement, bêtement. Elles m’ont toujours donné du fil à retordre. Je n’ai jamais trop su quoi en faire quand elles ne battent pas l’air. »
Commenter  J’apprécie          30
« Tout est rempli d’histoires, m’a dit un jour une voisine âgée, justement celle qui m’a appris à coudre. J’étais alors tout petit, trop petit pour comprendre que l’apparence de la plupart des choses est trompeuse, et leur signification changeante. À cause de ce qu’avait dit la voisine, j’ai ouvert avec un couteau à pain la couture dans le dos de Mister Buddy, mon ours en peluche préféré. Je cherchais des histoires, j’ordonnais aux mots de jaillir et de former des lignes horizontales comme dans mes livres de contes. Au lieu de quoi j’ai découvert que Mister Buddy était entièrement rembourré de nuages miniatures. J’ai remis les nuages à l’intérieur et je l’ai fourré sous la machine à laver (…). »
Commenter  J’apprécie          30
Je me demande si certaines créatures tuées sur la route n’avaient pas envie de mourir, au fond, si elles ne se seraient pas jetées sous les roues du véhicule. Une hirondelle léthargique incapable d’affronter un retour vers l’Afrique à tire d’aile. Un hérisson insomniaque ne supportant pas l’idée de rester éveillé tout l’hiver sans personne à qui parler.
Commenter  J’apprécie          30
Les bruits extérieurs sont essentiels pour moi. Peu importe quelle forme ils prennent, peu importe leur intensité, il faut que je les entende. J'ai besoin d'eux pour bâillonner mes pensées. Elles sont amères, désastreuses. Tel un banc de sprats pointus, argentés, elles me traversent en masse dès que les bruits extérieurs ne sont ni assez sonores ni assez nombreux pour les tennir à disatnce, les chasser de mon cerveau. J'ai surtout besoin d'eux pendant les heures d'insomnie, seul moment où je ne peux pas allumer l'autoradio, parce que ça viderait la batterie de la voiture.
Commenter  J’apprécie          20
Je découvre que, contrairement à ce que je croyais, tu n'es pas né avec une capacité d'émerveillement programmée. Je découvre que tu l'as toi-même nourrie de petites parcelles du monde.
Commenter  J’apprécie          20






    Lecteurs (129) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Quiz de la Saint-Patrick

    Qui est Saint-Patrick?

    Le saint patron de l’Irlande
    Le saint-patron des brasseurs

    8 questions
    251 lecteurs ont répondu
    Thèmes : fêtes , irlandais , irlande , bière , barCréer un quiz sur ce livre

    {* *}