Curieusement en effet, une forme de vol d’idées semble avoir échappé à la critique, celle qui concerne les emprunts faits par les écrivains, non pas à ceux qui les ont précédés, mais à ceux qui les ont suivis. Alors que le plagiat classique est régulièrement et justement dénoncé, le plagiat par anticipation ne retient que peu l’attention des lecteurs, même les plus attentifs.
Il est communément admis que l'écriture plonge ses racines dans la mémoire littéraire collective et qu’un écrivain vit avec certains de ses prédécesseurs, entretient avec eux une relation privilégiée, dialogue même parfois avec eux, comme avec des fantômes bienveillants à qui il lui arrive de demander, malgré la séparation des années et parce qu’il les sait situés hors du temps, conseil et protection.
Curieusement, cette relation de l’écrivain avec ses maîtres est toujours pensée comme dirigée vers le passé et jamais vers l’avenir, comme s’il était impensable de vivre, dans son travail de création, avec des écrivains n’ayant pas encore existé, et comme si cette communauté de créateurs, si importante dans le geste d’écriture, ne devait regrouper que les auteurs passés et présents, au détriment des auteurs à venir.
Or l’expérience de la création – et la solitude désespérante dans laquelle se trouve souvent le créateur – montre bien que celle-ci ne se pratique pas seulement avec les fantômes du passé, mais tout autant, et peut-être plus, avec ceux du futur, c’est-à-dire avec les écrivains encore à naître, qu’il s’agit à la fois, dans un mouvement de don réciproque qui est au cœur du processus de la création, d’aider à vivre et de placer au rang d’inspirateurs privilégiés.
Si l’écriture se fait bien en compagnie de certains fantômes, il conviendrait donc d’ajouter, aux revenants que sont les écrivains passés qui nous influencent, une autre catégorie de fantômes, que je propose d’appeler des survenants, lesquels sont convoqués par l’écriture et viennent fournir à l’écrivain – par ce surgissement que tout à la fois il espère et produit – les images inconscientes bienfaisantes de modèles à imiter.
Vivant moi-même dans la hantise du plagiat et choqué depuis toujours par ce type de pratique, je m'associe pleinement à une telle réprobation. Je regrette cependant qu'elle ne soit pas plus large et se limite au cas de figure qui vient le plus facilement à l'esprit, celui où un auteur est allé puiser, en le dissimulant, des éléments essentiels de son oeuvre chez des écrivains antérieurs.
Le plagiat est aussi ancien que la littérature, à laquelle il rend indirectement hommage. Il manifeste en effet à son égard une forme d’admiration, le propre d’un chef-d’œuvre étant d’inciter d’autres auteurs à explorer les voies qu’il a ouvertes ou même à rêver, en se l’appropriant, de l’avoir écrit eux-mêmes.