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Critique de Ingannmic


Le roman de Paul Beatty est un portrait haut en couleur de membres de la communauté d'East Harlem, et plus particulièrement celui de Winston Foshay, dit Tuff ou Tuffy.

Avec ses cent quarante kilos, ce grand gaillard d'une petite vingtaine d'années semble condamné aux rôles de gros bras auxquels le cantonnent les dealers et autres gangsters de sa connaissance. Au moment où débute le récit, il vient justement, grâce à un opportun évanouissement, d'échapper à la mort lors d'une fusillade dans un appartement de Brooklyn, où s'effectuait une livraison de drogue. Car malgré sa carrure imposante et son caractère soupe au lait, Winston n'est guère téméraire...

Il traverse par ailleurs une période de questionnement existentiel, tiraillé entre sa volonté de devenir un père et un mari respectable, et le poids d'un héritage familial, culturel et social envers lequel il voudrait ne plus se sentir redevable. Fils d'un ex Black Panther que ses fréquents séjours à l'ombre et son militantisme ont rendu absent -filiation qu'il aimerait bien renier-, et d'une mère qui, désespérée qu'il ne soit pas "comme ces gentils garçons dans le poste" (les Cosby), lui a laissé leur appartement et a mis le plus grand nombre possible de kilomètres entre eux dès son adolescence, il a ensuite été pris sous l'aile d'une nippo-américaine fervente communiste et ex-militante de Malcolm X.

D'avoir échappé de peu à la mort lui fait réaliser ses responsabilités envers Jordy, son garçon de deux ans, et sa femme la pétulante Yolanda, ainsi que la nécessité de trouver sa propre voie... Et il a un projet pour "filer droit". Avec l'aide de Spencer, rabbin noir qui s'est improvisé guide spirituel pour les jeunes des quartiers, il se présente au Conseil Municipal de son quartier...

Voilà pour le synopsis et le contexte, dont on assemble les éléments au fil d'un récit qui peut parfois sembler chaotique dans sa première partie, succession d'épisodes mettant surtout en scène les camarades de Winston traînant dans le quartier, fumant, projetant braquages et magouilles, se colletant avec une police municipale agressive et pathétique. On se familiarise à cette occasion avec son truculent entourage -dont Smush, son meilleur ami infirme et antisémite...- et avec les contradictions de notre héros, capable de la pire des brutalités tout en conservant sa légendaire nonchalance, sarcastique mais incapable de blaguer -car Winston dit toujours la vérité-, cinéphile au savoir encyclopédique...

Et même lorsque l'intrigue précise sa trame, on voit bien qu'elle n'est pour l'auteur qu'un prétexte à développer ses thématiques de prédilection, en déconstruisant les clichés associés aux afro américains et autres communautés des quartiers dits "sensibles". Il se livre ainsi à une satire féroce et souvent burlesque, évoquant les conditionnements que subissent les individus en fonction de l'image que la société leur renvoie et de l'influence du milieu au sein duquel ils évoluent, et la difficulté à s'en détacher.

De Winston et ses pairs, nés trop tard pour exprimer leur révolte en s'engageant dans le mouvement pour les droits civiques, et trop tôt pour profiter d'une société véritablement égalitaire -en espérant qu'elle arrive un jour-, en butte au manque de perspectives et d'opportunités, Paul Beatty nous offre un portrait vivant, attachant et drôle, porté par une langue inventive et gouailleuse. Et si la construction narrative de "Tuff" n'est pas aussi maîtrisée que celle d'un "Moi contre les Etats-Unis d'Amérique", on passe en compagnie de cette bande d'East Harlem un excellent moment !
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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