Citations sur Les Rumeurs du Nil (13)
Pendant notre séjour au Caire en janvier 1922, je visitai les pyramides. C'est la que je vis Frances pour la première fois. Nous étions en Égypte pour une semaine et Mlle Mackenzie, ma gouvernante, avait planifié notre séjour avec le plus grand soin. Elle était persuadée que si je voyais les pyramides, "l'une des plus grandes merveilles du monde antique, ne l'oubliez pas ma chère Lucy", si possible au moment le plus opportun - au lever du soleil -, les merveilles de pierre allaient produire en moi un changement. Me stimuler. Me fasciner. Me ramener a la vie, me convaincre de revenir au monde.
Je croyais au pouvoir du hasard et j'avais de bonnes raisons pour cela. La vérité, c'est que je crois aux malédictions, mais aussi qu'elles émanent de nous-mêmes et sont le fruit de notre nature propre et de notre éducation. Pourquoi ce besoin de croire en une malveillance surnaturelle, que la fatalité frappe les gens de maladies externes, alors que nous sommes tous parfaitement capables de les provoquer, de nous accable nous-mêmes sans la moindre influence extérieure ?
Je ne vous trouve pas ennuyeuse. Calme, oui. Discrète, certes, mais pas inintéressante. Vous êtes une observatrice. Moi aussi, je suis un observateur. Je vous ai observée en train d'observer les autres, mademoiselle Payne.
J'avais abandonné toute résistance dès le premier jour; les méandres de la Seine m'avaient définitivement séduite.
Ce n'est pas du tout le cheminement du deuil. Le chagrin reste toujours. Il te ronge de l'intérieur. Et si elle pense le contraire, c'est qu'elle ne l'a jamais vécu.
- Le Livre m'entraîne dans des contrées inattendues, continua Mlle Mack avec un soupir théâtral. Il me mène en bateau, si je puis dire. Et il est très autoritaire, presque tyrannique, Lucy. Avec des tendances napoléoniennes. Je sens qu'il modifie mon mode de pensée, et même ma personnalité. Vraiment ma chère, je m'en remets à lui.
Cette idée me paraissait saugrenue. Un livre pouvait-il avoir un tel effet sur une personne ?
- La Vallée telle que vous l'avez connue a disparu à jamais... Tout ce qui en reste, ce sont les photographies.
- Et les souvenirs.
- Les souvenirs ne survivront pas... à moins de les enregistrer. De plus, comment distinguer le souvenir du fantasme ?
Les musées changent la vie des gens - ils ont bouleversé la mienne en tout cas. Ils recèlent une grande puissance.
Mon fauteuil préféré, en chintz passé et aux ressorts fatigués, avait atteint cet état d'affaissement qui rend les vieux fauteuils très confortables, du moins pendant un temps. Il faisait figure d'îlots entouré d'albums photo, de carnets, de journaux et d'une foule de lettres : autant de jalons, que certains appellent naïvement "l'expérience passée".
Je croyais que, avec les années, l'âge et la résignation érigeraient une barrière entre mon chagrin et moi. Comme j'avais tort ! Les serres du chagrin ne lâchent jamais prise et ont une remarquable capacité à vous lacérer le cœur, encore et encore.