L'âme romantique et le rêve. essai sur le romantisme allemand et la poésie française, tome1

il faut que l'homme descende en lui, et y trouve tous les vestiges divers qui, dans l'amour, le langage, la poésie, dans toutes les images de l'inconscient, peuvent lui rappeler encore ses origines; il faut qu'il redécouvre, dans la Nature elle-même, tout ce qui, obscurément, éveille au fond de son âme l'émotion d'une ressemblance sacrée; il faut qu'il s'empare de ces germes sommeillants et qu'il les cultive.
Et, parmi eux, ceux dont le rêve nous révèle la présence mystérieuse ne sont pas les moins précieux. Car notre apparente lucidité actuelle est une nuit profonde, et la véritable clarté ne nous est accessible que dans les aspects nocturnes de notre existence.

Je sus bientôt que le romantique est avant tout un être orienté vers l'infini, - un cerveau épris de synthèse,- un homme pour qui la vie est divine, - une nature esthétique.

"Maintenant, mes nuits sont longues encore, mes jours brefs et jamais très clairs. Mais prends garde! le grand soleil de pensée, autour duquel je gravite, me donnera une fois un jour d'éternelle clarté. Tel est mon espoir."
Ces lignes nous révèlent Schuber tel qu'il fut toujours: sensible à la nuit, mais espérant la lumière, et prompt à échapper à ses dépressions grâce à sa nature contemplative.

"Un souffle puissant entraîne l'âme jusqu'à la rive du monde de l'Esprit: jusqu'au pays des songes..." (...)
L'un des thèmes permanents de la vie intérieure de Schubert fut la très intense perception d'une double appartenance de l'âme, d'une vie psychique constamment partagée entre deux plans, et, en même temps, il n'a cessé de ressentir l'espèce de contradiction ironique qui existe entre ces deux réalités. La vie humaine consciente est un rêve lorsque nous la prenons pour seule réelle, et le rêve est peut-être le seul état de veille, le seul instant où nous ne soyons pas les jouets d'une illusion, où nous nous souvenions de notre nature profonde."

"Je suis d'une famille de rêveurs, où plus d'une fois des événements importants furent annoncés ou même décidés par des songes", dit-il en 1816, dans un petit écrit autobiographique. et il raconte qu'un rêve de sa mère décida son père à lui laisser faire des études. (G.H. von Schubert)

Mais il y a quelque chose de bien attrayant chez un homme qui a eu le sentiment très profond et très vrai des abîmes nocturnes du coeur, comme de ceux de la nature, et qui pourtant a toujours été tourné vers la lumière; mieux encore, qui a toujours su répandre une mystérieuse lumière autour de sa personne et dans ses meilleures pages d'écrivain.

Depuis que le Soleil règne sur les astres et a mis fin au chaos, la Providence a donné à chaque corps céleste le langage de l'amour. sur notre planète, les arbres sont "les paroles de l'éternel dialogue d'amour que poursuit la Terre avec le Soleil".

Schelling, à qui il arrivait d'être poète, a donné de ce mariage du Jour et de la Nuit une image toute baignée dans la pénombre lunaire, si chère aux romantiques.

"Si dans la nuit même une lumière se levait, si un jour nocturne et une nuit diurne pouvaient nous embrasser tous, ce serait enfin le but suprême de tous les désirs. Est-ce pour cela que la nuit éclairée par la lune émeut si merveilleusement nos âmes et jette en nous le frémissant pressentiment d'une autre vie, toute proche?

Avec la conception néo-platonicienne de l'Animal-Univers renaît l'idée d'une Ame universelle omniprésente, principe spirituel de toutes choses, dont les âmes individuelles sont des émanations ou des aspects. Cette Ame est la source d'où émanent à la fois la réalité spirituelle et le cosmos. Entre le plan transcendantal des Idées et le plan de la Nature, il n'y a plus d'abîme, mais un lien commun.
La Nature est assimilée à une action inconsciente de cette Ame qui devient consciente dans l'esprit humain, et qui est l'Unité indivisible, considérée sous son aspect créateur.

Mais le plus étrange et le plus inquiétant des "physiciens romantiques" est sans doute Ritter, ce jeune savant mystqiue, qui fut l'intime de Novalis et autour duquel s'était formée une véritable secte. Nature profondément déséquilibrée, en proie à de singuliers phénomènes nerveux, obéissant à un démon intérieur qui lui dictait, dans un demi-sommeil, des cocasseries et des phrases saugrenues, il représente un peu, dans les sciences et la philosophie romantiques, ce que Novalis représente dans la poésie: il n'est pas jusqu'à leur mort précoce et à la légende que l'un et l'autre laissèrent qui ne les rapprochent. Mais le "jeune physicien" était un être infiniment plus trouble que Novalis et incapable de cette transfiguration de soi et du monde par où l'auteur des Hymnes à la Nuit s'est dépassée, échappant à sa propre érudtion.