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Critique de Zoeprendlaplume


Le monde de Julia est un petit roman assez didactique. le roman comporte deux trames, je parlerai d'abord ici de la première avec Julia.

Julia est comme ces personnages de romans d'apprentissage du XVIIIe. A un moment, elle m'a un peu fait penser à Jacques le fataliste, accompagnée de son maître Roland-17. Puis un autre maître dont je vous laisse le plaisir de découvrir l'identité. Mais on est bien dans cette idée : un dialogue-promenade philosophique, gorgé des idées des Anciens et des Lumières, forgeant la croissance intellectuelle de Julia. Je pense que le roman fait aussi un gros clin d'oeil au roman le monde de Sophie de Jostein Gaarder dans le concept (et son titre).
Son histoire est principalement émaillée de ces dialogues qui pourraient paraître parfois saugrenus tant leur rattachement au récit pourrait sembler factice. On pourrait aussi juger ces leçons philosophiques sur le droit très artificielles. Ca m'a fait un peu penser à ces méchants dans les films qui, sur le point de gagner face aux gentils, perdent un temps fou à blablater, suspendant ainsi le temps et le compte à rebours qui ralentit inexorablement. Là, c'est un peu pareil, ce qui peut donner une impression d'artificialité importante.
Enfin, le ton didactique pourrait agacer pas mal de monde, je pense. Ajoutons à cela des confrontations d'idées piochées dans des thèses d'auteurs un peu oubliés (en ce qui me concerne bien sûr – ouh la la, j'espère que les auteurs ne passeront pas par ici), et la leçon peut vite devenir aride. Oui, le débat d'idées entre Hobbes, Locke, Platon etc. ressemble aux joutes rhétoriques grecques, qui peuvent passionner les uns et profondément assommer les autres.

Mais il y a un « mais ». Non, plein de mais en fait. Parce que je ne partage pas ce point de vue là et que je trouve à ce texte une multitude de qualités.

D'abord, selon moi, ça marche très bien. Parce qu'on renoue, d'une part, avec l'essence des romans didactiques et l'esprit est bien là. J'ai trouvé les échanges parfois badins, avec ce Roland-17 qui maîtrise à la perfection les nuances entre conviction et persuasion. de parfaits petits numéros bien exécutés – et personnellement, j'ai trouvé cela très savoureux, cocasse et franchement malin.
Ensuite, hé bien on ne s'ennuie pas. Personnellement, les grands textes conceptuels des Anciens et des Lumières me semblent difficiles à avaler (c'est comme manger des pois cassés nature sans une petite crème légère pour les accompagner). Or, le monde de Julia apporte cette rondeur manquante aux propos, un dynamisme dans l'échange d'idées, et un rythme dans la pensée qui se forge. Et que ça donne presque envie de retourner à la source pour lire enfin ces grands noms. Et puis c'est passionnant, jamais ronflant, ni juste théorique. Il y a des questions que l'on se pose chaque jour et qui sont fondamentales : qu'est-ce qui fait société ? Peut-on garantir la liberté sans égalité ? Dans les crises (politiques, sociales, des institutions…), que nous traversons, remettre à plat ces points est loin d'être inutile.
Enfin, j'ai trouvé que la construction du roman permettait au propos plus didactique de bien s'intégrer au reste. Il se compose de deux trames, l'une avec Julia et l'autre avec un chef de clan qui tente de trouver des solutions pour dépasser cette logique fragmentaire, et de mettre en place une société fondée sur le vivre-ensemble. Ce faisant, j'ai remarqué que les chapitres, qui alternent les points de vue, se répondent. Comme si le chapitre centré autour de Julia était la leçon, et le chapitre suivant la mise en pratique. de ce fait, il y a un liant bien présent qui redonne une fluidité à l'ensemble.

Par ailleurs, remarquable la manière dont droit et SF s'associent.
J'ai écouté, au cours de ma lecture, le podcast d'un numéro de la science, CQFD d'avril. Natacha Triou y recevait les deux auteurs pour échanger sur ce roman atypique. Parmi les nombreuses questions posées, il y avait celle-ci : « pourquoi faire le choix de la SF pour évoquer des questions de droit ? »
Il est vrai que le mariage des deux peut paraître atypique. D'abord, les auteurs ont choisi le conte pour raconter leur histoire. On ne sait pas trop où l'on est ni quand, même si quelques indices épars nous permettent de nous en faire une idée. le conte a une portée universelle. Julia est une enfant lambda, qui a perdu ses parents et est élevée par un tuteur dans un monde qui ne semble pas très doux. En somme, voilà un cadre qui semble bien familier. Peu importe que le monde décrit ne soit pas exactement le nôtre, car Julia est proche de nous et va vivre des expériences qui nous parlent. Et puis quoi de mieux qu'un conte pour instruire ?
D'autre part, et les auteurs l'ont bien expliqué, le droit est une fiction. C'est un voile qui recouvre le monde naturel pour qu'on puisse faire société, qui est aussi un artifice. Elle repose en effet sur des règles que l'on s'impose pour gommer les différences de force et de puissance, établir une égalité et garantir la liberté de chacun. Il paraissait alors évident pour les auteurs d'intégrer leur propos dans un genre fictionnel. La SF décrivant les sociétés et leur évolution comme des êtres organiques et vivants, il semblait alors logique que ce soit la SF qui s'empare de cette question, d'autant qu'il n'y a pas de société sans droit.

Je parle de droit depuis le début, mais le monde de Julia est un roman de SF d'abord. le monde qui nous est présenté est dystopique. On l'approche par le regard de Julia, jeune fille éprouvée par les expériences de la vie. Son monde est dépeuplé, la « civilisation » lointaine, dangereuse, et de ce que l'on comprend, il n'en reste pas grand-chose. le second regard est celui de Darius et d'Artaban, en tout cas pendant un temps. Leur monde à eux est constitué de clans, qui répondent chacun à des règles issues de bouquins de SF. C'est assez rigolo de deviner de quel bouquin telles règles sortent. Je me souviens surtout de Terra Ignota, mais ce n'est pas la seule référence, les auteurs puisant aussi allègrement dans le cinéma. le roman s'ancre donc dans une culture pop culture et SF bien établie.
J'ai parlé tout à l'heure des deux trames qui se relient formellement, entre théorie et mise en pratique. Mais au-delà de cela, il y a un vrai dialogue entre ces deux trames, qui évidemment vont finir par se rejoindre à un moment. Si le lien entre les deux peut paraître obscur pendant un bon moment, on voit le ciel s'éclairer peu à peu, et les connexions se font petit à petit. C'est très bien amené, et quand on comprend alors, on considère différemment ce qu'on vient de lire. Je trouve les deux fils fort bien menés, imbriqués, comme le parfait reflet du travail à 4 mains qu'ont réalisé les deux auteurs.
Ainsi, je dois dire que le dénouement m'a énormément surprise, parce que je n'ai rien vu venir. Plus que ça : je l'ai trouvé brillant. Si on doutait qu'on était dans de la SF depuis le début, là on est servis. On retrouve là plusieurs concepts bien connus de la SF, utilisés à fort bon escient. Je dois néanmoins avouer que je n'ai absolument rien capté à l'épilogue. Mais ça ne m'a pas chagrinée, puisque pour moi le final se suffit à lui-même. Fichtre, ça décoiffe. Bien pensé, inattendu, vertigineux. Et ce final provoque aussi pas mal d'émotions, ce qui pouvait peut-être manquer jusque-là.
Lien : https://zoeprendlaplume.fr/u..
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