Paranoïa, tome 2 : Miroir

Au moins, je suis en vie.

À l’évocation de cette évidence, quelque chose dont je peinais à me souvenir me rappela à l’ordre : je ne voulais pas être en vie.

Je ne voyais pas. Un film opaque recouvrait mes pupilles, me plongeant dans une obscurité profonde. Je plissais les yeux, clignais des paupières, rien n’y faisait. Je réessayai, encore, une fois, deux fois, trois fois. Impossible. On m’empêchait d’y voir ? Ou bien étais-je aveugle ? Je sentis mon cœur monter en cadence sous le coup de la peur qui s’emparait de moi. Où étais-je ? Le silence qui m’entourait me glaçait le sang. Seuls quelques sons voilés me parvenaient de temps à autre, bourdonnements irréguliers, échos de mouvements étranges. Cela ressemblait aux ondes grossières que l’on perçoit lorsqu’on a la tête sous l’eau.

C’est comme si le compas n’indiquait plus le cap, comme si le navire pénétrait dans un épais brouillard, de ceux qui peuvent nous faire aussi bien échouer sur une plage aux allures de paradis que sombrer à jamais dans les profondeurs. On ne sait pas, on ne contrôle plus rien, on est ballotté par les flots de l’inconnu. On n’est plus capable de décider. L’espoir et la peur se côtoient, la passion et la fatigue s’entrechoquent. Alors, la gorge nouée, on attend l’issue.

Mon histoire est de celles-ci.

Moi-même, je suis à ce moment de l’histoire, j’en suis à la page blanche après l’épilogue. J’ai envie de croire aveuglément 8– et, à la fois, je donnerais tout pour oublier – cette réalité à laquelle on m’a confrontée bien malgré moi, et pour ne plus jamais avoir à subir le doute. Comme c’est déroutant de ne plus savoir quel regard porter sur ce qui nous entoure ! De se demander si notre heure est venue, si la douleur va enfin s’en aller et nous avec, si tout est sur le point de s’achever, si on sera bientôt libéré… ou bien si quelque chose nous attend encore, on ne sait où, dans cette brume qui nous encercle et nous aveugle. D’autres joies ? D’autres blessures ? Pourrait-on encore les supporter ?

Certains récits vous bousculent, vous ébranlent. Certaines histoires sèment le doute en vous. Elles vous emportent loin, très loin, aux confins de votre conscience, aux limites de vos rêves et de vos cauchemars. Vous les vivez, envers et contre vous, vous les savourez par moments, vous les détestez à d’autres. Elles ont le pouvoir de vous arracher rires aussi bien que larmes. Elles vous recouvrent d’amour puis vous écrasent le cœur. Elles font de vous quelqu’un d’autre. Vous plongez dedans sans réfléchir, vous vous déconnectez de la réalité sans même vous en apercevoir, sans plus distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas. Le temps de quelques pages, c’est un délice auquel vous ne pouvez résister, qui vous fait oublier l’essence de votre propre existence. Ces pages-là vous laissent un goût d’inachevé lorsqu’elles ont toutes été tournées ; une amertume aussi frustrante qu’exquise, ce genre d’impression qui reste indéfinissable et que vous ne sauriez ni aimer ni haïr.

J'avais appris qu'il ne faut jamais renoncer, même quand tout semble perdu, même quand la foi nous a quitté.

Toutefois , malgré tout cela, je n'excluais pas que mon point de vue puisse changer un jour. Par déformation professionnelle, sans doute, je savais bien qu'on évolue, que la vie réserve souvent des surprises, que notre regard peut changer, notre personnalité et nos désirs aussi.

Eh bien, pour moi, il avait été l’amour absolu, le plus pur, le plus intense.

Elle se voyait chaque jour s'habituer un peu plus à ce "quotidien normal" qui la répugnait, parce qu'elle vivait seule et cloîtrée, elle qui n'avait toujours rêvé que de liberté et de grands espaces, de couleurs, de voyages, et d'amour.