Citations sur La compagnie des Tripolitaines (14)
Je les entends encore à leur retour, dissimulé dans l'une ou l'autre de mes cachettes. "S'il est bien dans sa mosquée, qu'il y reste", disait ma mère en riant, et Jamila de renchérir: "Que le mien se perde dans ses bouteilles, ce n'est pas moi qui vais l'en sauver, qu'il s'en régale et qu'il s'y noie ! ", et toutes deux de s'esclaffer bruyamment, contentes comme des gamines de leurs bonnes blagues ou peut-être simplement de pouvoir tourner en plaisanterie ce qui faisait le chagrin de leurs jours.
Fella, pour me consoler, me racontait les femmes et se racontait elle-même, suscitant peut-être quelque sourde inquiétude : " Ta mère et les autres sont aussi des anges, mais des anges qui s'ignorent, leur punition c'est l'oubli, car elles ont déserté le dieu lorsqu'elles ont découvert que c'était un dieu mâle et que ce qui l'intéressait, c'était son zob et son ventre comme tous les hommes, ses fidèles créatures."
Et comme souvent lorsqu'elle décide de divulguer ses secrets, la nuit fût immense tel un aveu amoureux. Les étoiles, le regard paisible, s'affairaient à tisser le visage du ciel. Elles étaient là, regroupées , à se bousculer comme pour me consoler dans un mouvement de chaos initial oubliant pour une fois leur rang dans la hiérarchie céleste afin que ma main puisse les caresser.
Celui qui ne connait pas la haine ne connaîtra jamais l'amour et ce qu'on ne veut pas voir, ce qu'on cache, ce qu'on retient en soi trop longtemps, sortira un jour ou l'autre comme une explosion.
Mais s'il ne m'aime pas, je suis sûre qu'il se sent seul; car aucun homme ou djinn, ni même un ange, ne s'était abandonné à lui comme moi. À moi la souffrance éternelle et à lui l'enfer de la solitude. (p.84)
« Tante Tibra combien as-tu mangé d’hommes ?
-Ne dis pas de bêtises, petit bonhomme ! »
Et pour la faire rire encore, je la pris dans mes bras et lui mordillai le sein. « Attends, quand tu seras grand, il en faudra plus que de baiser les seins d’une femme pour ravir son cœur mon petit Hadachinou ! » s’écria-t-elle en me repoussant.
Je fais comme beaucoup d'entre nous, poursuivait la femme, j'ouvre mes jambes et je le laisse me niquer ; de toute façon ça ne dure pas très longtemps... trente secondes, une minute et voilà ! J'en suis quitte... Quelle plaie !... Vous vous rappelez celle qui a coupé le zob de son mari ? Eh bien, son mari la battait tellement, à lui faire voir les étoiles à midi ! Nous le savions, toutes, mais que pouvions-nous faire ? Dehors c'était un homme pieux et respecté, il allait à la mosquée tous les jours, mais comme tous les autres, les femmes, il les haïssait !
Oui, qu’est-ce que je disais, oui, le mariage ! C’est affreux, ça, chier des filles qui seront esclaves toute leur vie et des garçons qui vont les faire trimer et lisser l’ennui et la mort ! Non et non ! disait souvent tante Nafissa
Comme on le sait, les désirs des hommes et les pas du temps arpentent rarement les mêmes chemins. Cet homme qui devait ad vitam aeternam prendre le titre d’époux respecté n’était pas celui de mes vœux, mais quelqu’un que je n’avais jamais vu.
Les hommes, en dehors de leur ventre ou de leur zob, ne s’intéressent à rien sinon à détruire d’une main ce qu’ils viennent de construire de l’autre.