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Critique de berni_29


J'ai fait ici la connaissance de Simon, psychanalyste. Il écoute les autres, recueille leurs émotions, les aide.
Se taire pour permettre aux autres de parler.
C'est à la faveur d'un bol qui tombe au sol et se brise en deux que sa vie va prendre un autre tournant. Les souvenirs de Louise son premier amour et de Mathieu son meilleur ami, surgissent, résonnent en lui avec vacarme.
Le hantent sans doute depuis la nuit des temps.
Ramassant les morceaux du bol brisé à ses pieds, peut-être se demande-t-il alors si l'on peut réparer certaines choses cassées des vies...
Tout psychanalyste qu'il est, les doutes, les failles ne l'épargnent pas pour autant, mais il n'a jamais pris le temps ou le soin de se pencher au plus intime de lui pour les sonder.
« Et lui, qui le guérira ? »
Il quitte une ville au bord d'un océan pour rejoindre le Japon qu'il ne connaît pas. D'un rivage à l'autre, il finit par rejoindre celui d'une des îles subtropicales de Yaeyama. C'est là-bas qu'il a réservé une petite pension chez Monsieur et Madame Itô, loin de tout, des bruits du monde, si près du silence, celui de ses hôtes, mais le sien aussi, celui de son coeur qui a des choses à dire, même si un coeur encombré peut faire beaucoup de bruit.
« le secret fait partie du coeur qui l'abrite. »
Dans La patience des traces, Jeanne Benameur est une femme qui écrit sur le chagrin d'un homme.
J'ai tout de suite aimé la grâce tranquille de ce court roman.
C'est un livre où le silence règne en souverain.
Le silence, comme un abyme profond à l'intérieur de soi, avec les voix d'avant qui reviennent de temps en temps.
Par petites touches, on devine les endroits qu'il a gâchés dans sa vie.
Ce récit ressemble à un exil. Alors il entre dans un autre royaume, celui d'Akiko et Daisuke, ses hôtes qui ressemblent à des gravures anciennes et qui portent la générosité en eux.
Simon va puiser ici la paix dont il a besoin. Quand il se baigne, une raie Manta l'accompagne dans sa danse lente et impressionnante. Tout est lenteur dans ce texte et cela fait un bien immense.
Tout est lenteur comme le rituel du thé, comme le paysage, comme des gestes ancestraux, ceux d'Akiko qui collectionne et restaure d'anciennes étoffes rares, comme Daisuke, qui, lui pratique l'art du kinstugi, réparant les céramiques abîmées et les sublimant.
L'écriture de Jeanne Benameur est délicate et ciselée comme ce fil d'or qui vient couturer dans un dernier geste la céramique enfin réparée.
Une intimité douce se faufile dans les pages comme si nous avions une raie Manta pour seule guide ou peut-être la grande et belle Nara qui s'en va chercher des plantes rares dans la forêt, qui s'agenouille sur la terre, l'embrasse...
Accueillir, écouter, aider à déposer un fardeau, Simon a toujours fait cela pour les autres... Maintenant, il veut s'alléger d'un poids...
C'est une ode sur le temps à accorder aux choses, aux êtres, à soi.
« On ne peut ni prendre ni perdre ni avoir le temps. le temps n'est pas un objet, on le sait pourtant. »
J'ai alors pensé à ces constellations qui nous renvoient dans notre présent une lumière née il y a plusieurs millions d'années, à une époque où il était inconcevable que nous puissions exister sur cette terre.
J'ai aimé aussi cette variation qui invite Simon à explorer le sentiment de l'amitié d'un homme pour une femme, à se demander s'il pourrait envisager un jour un tel chemin, atteindre un rivage qui lui est totalement inconnu, là où aucun désir ne vient mettre le désordre au corps et au coeur... Savoir s'il lui est possible d'envisager ce voyage...
Ici c'est comme une musique intime où la note est tenue jusqu'au bout... C'est un livre à l'écriture belle, qui apaise comme une caresse.
Je voudrais demeurer encore un peu dans la grâce de ce livre qui m'a habité durant sa lecture, je voudrais continuer d'être habité par lui, par ses personnages, par la raie manta, par l'océan qui surplombe le paysage.
C'est un récit initiatique, délicat et sensuel comme une plante rare dans une forêt.
Si un jour je suis malheureux, je partirai vers une de ces îles Yaeyama retrouver Akiko, Daisuke et la belle et secrète Nara...
« Presque. C'est dans le "presque" que tout se joue. Toujours. »
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