AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de SophieLesBasBleus


Du lieu où elle nous raconte son histoire, sa jeunesse rebelle, l'amour de Théo, le diagnostic foudroyant de la tumeur au moment même où la première grossesse fait le pari de l'avenir, et puis les combats plus épuisants d'être sans cesse renouvelés, Sarah surplombe son passé et le futur sans elle. Son présent ne se situe plus dans sa vie et il lui reste juste le temps de ramasser les pans de son existence pour s'en munir avant d'acquiescer au départ définitif. Pour viatique elle emporte l'amour de Théo, les rires de ses enfants, la tendresse des amis, tout ce qui l'a enveloppée avant et pendant sa maladie. En adoptant le point de vue (le point de vie) de celle qui a déjà tout quitté, l'auteur nous fait mesurer le poids de ce à quoi celui qui meurt, comme celui qui reste, doit renoncer.
De la même manière que Sarah a appris à vivre, il lui faut maintenant apprendre à mourir. Mais est-ce que la mort s'apprend ? Est-ce que des deux côtés du dernier souffle, ceux qui partent comme ceux qui restent, ont à accomplir une ultime tâche, propre à chacun, qui ne se résout pas uniquement à ce que l'on nomme "le travail de deuil" ? Cette quête aboutirait-elle non pas au déni et encore moins à l'oubli, mais, à l'inverse, à une appropriation apaisée de la mort, de l'absence irrévocable, et à son intégration dans la pulsion de vie ? Qu'est-ce que c'est "être fort" ? Assumer le quotidien jusqu'à l'épuisement, croire mordicus en l'invraisemblable, comme Théo ? Supporter les traitements violents et la dégradation physique, repousser toujours plus haut le rocher de Sisyphe, comme Sarah ?
Il me semble que ces questions irriguent l'histoire poignante de Sarah et Théo et donnent au roman de Thibault Bérard une profondeur et une force d'autant plus remarquables que jamais l'émotion qui suinte de chaque phrase ne fait sombrer le récit dans le larmoyant. Jusqu'au bout, une énergie vitale vient contrebalancer le chagrin et je reste encore sous le choc de cet équilibre déroutant entre la vraie tristesse éprouvée empathiquement face aux deux personnages et une sorte de soulagement lumineux à l'idée que leurs choix restent au service de ce qu'il y a de plus vivant en nous. C'est un peu comme si le roman de Thibault Bérard alternait indéfiniment les ténèbres et la lumière. Quoique... non ! Il n'y a pas d'alternance mais une continuité ou mieux une imbrication des unes et de l'autre. Oui, j'ai ressenti EN MÊME TEMPS et sans pouvoir les démêler le chagrin et la joie au coeur de l'histoire de Sarah et Théo et cela même dans les situations les plus dramatiques, les plus désespérantes. Et cette impression me reste encore de manière très prégnante.
Sans doute l'écriture est-elle pour beaucoup dans cette sensation d'équilibre délicat qui me reste en mémoire. Factuelle, dépouillée, et pourtant terriblement suggestive, elle joue de l'ironie et de la dérision un peu bravaches, totalement en accord avec ce que l'on imagine de la personnalité de la narratrice, mais elle exprime aussi la colère, le désespoir, la lassitude tout en restant pleine de pudeur et de dignité. Une écriture qui ne cache rien des montagnes russes émotionnelles des deux personnages et qui nous en emplit le coeur.
Roman d'amour, roman d'apprentissage, roman tragique et optimiste, "Il est juste que les forts soient frappés" continue d'habiter ma maison et de chuchoter "Je ne suis pas loin, juste de l'autre côté du chemin".
Commenter  J’apprécie          100



Ont apprécié cette critique (10)voir plus




{* *}