Citations sur Le sens de la création (10)
Le secret de la Renaissance est en cela — qu’elle n’a pas abouti. Jamais encore autant de force créatrice n’avait été suscitée à la fois dans le monde, et jamais ne se sont révélés une telle tragédie de la création, un déséquilibre aussi complet entre le dessein et la réalisation. Cet échec de la Renaissance donne à la création humaine ses critères véritables. Il faut chercher là sa beauté profonde. Si la Renaissance n’a pas abouti malgré l’extraordinaire tension d’énergie créatrice qu’elle renfermait, c’est qu’une renaissance du paganisme était impossible dans le monde chrétien, définitivement impossible.
Nul ne met sérieusement en doute la valeur de la Science. La science est un fait indiscutable, et indispensable à l’homme. Mais on peut douter de la valeur et de l’utilité du scientisme. Car science et scientisme sont deux données complètement distinctes. Le scientisme suppose le transfert des critères scientifiques dans d’autres domaines de la vie spirituelle, étrangers à la science ; il impose la notion selon laquelle la science est le critère par excellence, supérieur à tous les autres, et qui confère, en conséquence, à ses solutions une portée décisive et universelle.
La philosophie, en quelque acception que ce soit, ne doit pas être une science, et ne doit pas être scientiste. Il est presque incompréhensible qu’elle veuille l’être. Il ne peut y avoir de science de l’art, de la morale, de la religion. Pourquoi la philosophie serait-elle une science ? Il paraît clair que rien au monde ne doit être scientifique que la science.
La grande Renaissance italienne a été infiniment plus complexe qu’on ne le conçoit habituellement. Elle représente le niveau le plus élevé qu’ait atteint la faculté créatrice de l’homme, et par là, le problème de la création s’y pose avec une acuité sans égale. L’homme de la Renaissance s’est efforcé de retourner aux sources antiques de la création, à cet aliment créateur que n’avaient pas épuisé la Grèce et Rome. Mais ce serait faux de penser que la Renaissance italienne a été païenne, et de la placer sous le signe d’un réveil du paganisme. Il faut laisser cette vue simplifiée aux historiens de la culture. La vérité est que dans cet élan créateur de la Renaissance, les principes chrétien et païen déposés au fond de la nature de l’homme se sont heurtés pour la première fois. C’est là qu’est la signification éternelle et universelle de la Renaissance.
C’est dans la création artistique que se révèle le tragique de toute création, — le déséquilibre entre ce qui est conçu et ce qui est réalisé. L’objectif de tout acte créateur est de créer un Être nouveau, une vie nouvelle, c’est un but théurgique ; mais la réalisation de cet acte, n’est plus qu’une oeuvre différenciée, répondant à des besoins esthétiques définis, et qui se range non dans un autre monde, mais parmi les valeurs culturelles de celui-ci.
Et la conception même de la beauté implique déjà une rupture avec la difformité du monde actuel, — un saut dans un monde inconnu. L’oeuvre artistique est la création d’un univers, d’un cosmos, la révélation de la liberté.
L’acte de création artistique est partiellement une transfiguration de la vie. Sa relation avec le monde suppose déjà la présence d’un monde nouveau.
L’art représente une victoire constante sur la médiocrité de ce « monde » auquel jamais il ne se soumet complètement. Il y a une libération dans tout acte créateur. L’essentiel de cet acte est de surmonter la nécessité. Par lui, l’homme sort de lui-même, s’évade en dehors de la médiocrité ambiante de son existence.
C’est dans la création artistique que se révèle le mieux le sens de l’acte créateur. L’art est par excellence la sphère de la création. Et cet élément créateur au sens artistique du terme peut se faire sentir dans toutes les sphères de l’activité de l’esprit.
Le rêve de la philosophie nouvelle a été de devenir scientiste ou « scientiforme ». Parmi les tenants de la philosophie officielle, aucun n’a mis sérieusement en doute la légitimité d’une tendance qui consiste en quelque sorte à transformer la philosophie en une discipline scientifique ; et sur ce point, positivistes et métaphysiciens, matérialistes et criticistes se sont trouvés d’accord.