Encore de magnifiques rencontres en cette fin d'année 2023, celles de
Pierre Bergounioux, de
Catherine, son premier roman, et de sa somptueuse langue, une langue rocailleuse, heurtée, impétueuse, déstructurée par moments, fine et ciselée à d'autres, une langue incandescente et précieuse, que l'on peut rapprocher de celle de
Pierre Michon, avec qui il partage des origines limousines, une langue qui suit les embardées, les sinuosités de la Dordogne, et qui épouse les anfractuosités, les reliefs, et les cassures du paysage de ce coin de Corrèze.
Une langue enfin, qui ne se laisse pas facilement apprivoiser, dont les abstractions sont parfois obscures et qui n'hésite pas à nous perdre en chemin.
Le narrateur, qui passera de manière incessante, en boucle, du Il au Je, est venu se réfugier dans la maison héritée de son oncle, après que
Catherine L ait éconduit. Il enseigne au collège du bourg voisin, fait rapidement la connaissance de ses voisins, deux frères inquiétants dont il ne tarde pas à comprendre les sinistres agissements dans la forêt lui appartenant.
Il ne se remet pas de la rupture avec
Catherine, s'enfonce dans une dépression noire et gluante, comme la boue dans laquelle il se vautre, flirte avec l'idée du suicide. Il a surtout perdu son identité, celle que sa compagne lui octroie, par l'image qu'elle lui renvoie. Il la retrouve, par flashs et lors d'éclairs de lucidité, devant les élèves, à qui il essaye de transmettre son amour de la langue, Bergounioux nous livrant alors de très belles et émouvantes scènes.
Il la recherche surtout, cette identité, dans une confrontation permanente avec l'oeuvre de
Flaubert, son oeuvre de jeunesse, avant Emma et
L'éducation sentimentale, au travers d'un manuscrit relié en cuir rouge, qu'il traîne partout et relit sous le tilleul de la terrasse.
Le processus d'identification à
Flaubert, à son désarroi métaphysique, à son vide existentiel, à sa relation à la maladie et à la mort, est un fil rouge courant, de manière sous-jacente, tout au long du roman.
J'apprendrai, pendant sa lecture, que
Pierre Bergounioux a soutenu une thèse de doctorat, sous la direction de
Roland Barthes, intitulée
Flaubert et l'autre : communication littéraire et dialectique intersubjective. Je comprends mieux l'importance qu'il lui a accordée ici, et le secours que cette thèse a dû lui apporter dans cette expérience à la limite de la déréalisation.
Je tairai le final grandiose de
Catherine, qui avait commencé par une épique scène d'ivresse, s'était poursuivi par les errements d'un être terrassé par la douleur, et se termine, dans une ambiance de thriller rural, en apnée au fond de la rivière.