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Critique de Sivoj


Je pensais aborder un auteur visionnaire et je m'aperçois à quel point il est prisonnier de son époque. Ce recueil de conférences tient plus du pamphlet que de l'essai philosophique, et les fantasmes de dictature mondiale fondée sur la menace du feu nucléaire ne rendent pas honneur à la pensée de Bernanos. Ce dernier me fait penser aux mauvais côtés de Alain Finkielkraut ou Michel Onfray : il s'agit d'un conservateur qui dénonce les errements du progressisme alors que sa réflexion est sous-tendue par les mêmes valeurs humanistes, les mêmes idéaux des Lumières et des Droits de l'Homme, qui guident les progressistes eux-mêmes – si ce n'est qu'il y arrive par le christianisme. Il prétend les combattre sur leur terrain et avec leurs armes. Il fustige le "progrès" mais en adore les idées mères. En somme, pour paraphraser Bossuet, il me semble qu'il déplore les effets dont il chérit les causes.

Pourtant il y aurait à dire sur ces causes idéologiques qui le mènent à raisonner abstraitement. Bernanos défend que la France – ou plutôt l'idée que M. Bernanos se fait de la France, à savoir défenseuse des Lumières et de l'idée pure, quasi-platonicienne, de Liberté – doit faire rayonner ces grandes valeurs dans le monde afin d'être son phare dans la nuit, quand bien même ce serait au dépends de la puissance politique, économique ou militaire du pays. Or, il oublie qu'on a pu répandre nos valeurs "universelles" au XVIIe et XVIIIe parce qu'on était la superpuissance de l'Europe. Depuis la fin de la guerre, ce sont les États-Unis qui imposent leur universalisme. Une nation ne peut défendre des idées que si elle compte politiquement, militairement ou économiquement. C'est la puissance du pays qui fait son rayonnement. Bernanos, loin de ces considérations matérielles qu'il méprise, prétend faire briller un idéal en faisant l'économie du corps national qui le porte. On reconnait bien là une vielle logique chrétienne : vénération de l'âme mais détestation du corps physique.

Il y aura bien des sentences, presque des aphorismes, que l'on pourra citer en se disant qu'il a visé juste, que ses craintes ont pu se réaliser, mais elles s'appuient sur des opinions très générales, de l'ordre de la discussion entre piliers de bars, qui ne s'ancrent jamais dans le particulier, qui évitent les arguments précis et concrets en leur préfèrent les idées abstraites, toujours vagues (en l'occurrence la Liberté, l'Égalité, la Justice, etc.), que l'auteur enfile comme des perles afin d'arriver bon gré mal gré où il veut. La marge d'interprétation possible grâce aux propos flirtant avec le métaphysique, permet à chacun d'y trouver quelque chose pour son compte, mais le grand plaisir que procure ce livre, c'est surtout celui de ne pas être d'accord.
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