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Citations sur Hiver 1812 : Retraite de Russie (14)

Les cris étaient ceux de cantinières et de vivandiers affolés qui s'enfuyaient. Le convoi avait stoppé, les conducteurs hésitaient, manœuvraient de façon désordonnée, comme pris de panique. Napoléon continua son chemin, indifférent à la péripétie qui secouait les riz-pain-sel. Enfin, on reconnut, submergeant les exclamations, le hurlement trop familier. C'étaient les Cosaques, des milliers, qui poussaient leur « Hourra » en pressant leurs montures et fondaient à l'aube sur les bivouacs de la ligne française.

Le général Rapp, le plus prompt, enjoignit à Napoléon de se replier, et, le geste accomplissant la parole, s'empara de la bride de son cheval pour l'obliger à faire volteface. L'Empereur retint sa monture, tira son épée en même temps que Berthier et Caulaincourt et fit face. Rapp, à peine rétabli de l'éclat reçu dans la hanche à la Moskova, fût le premier atteint. Un Cosaque, plongeant sa lance dans le poitrail de son cheval, le précipita à terre. La vingtaine d’officiers présents et les chasseurs de service se précipitèrent pour l'entourer et répliquer. Le groupe, Napoléon avec lui, était enveloppé par une nuée tourbillonnante de cavaliers, des hussards tartares. L’Empereur aurait été capturé, tué peut-être, si la résistance farouche de son entourage n'avait conduit le gros de la horde à préférer des proies plus faciles et d'un rendement immédiat.

(...)

Napoléon regarda sa cavalerie nettoyer la plaine, les conducteurs, remis de leurs émotions, récupérer leurs voitures. Tout rentra dans l'ordre, mais chacun constatait, l'Empereur le premier, que le danger avait surgi du côté où on ne I'attendait pas. La guerre pressait de toutes parts la marche de l'armée. Pour les Français, pour leurs alliés et ceux qui les accompagnaient, il n'était plus un endroit sûr dans la grande plaine russe.
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Les Cosaques avaient rapidement reparu. En solidifiant les marais, le gel les avait rendus praticables pour leurs petits chevaux et l'incendie des ponts de bois les avait à peine retardés. Leurs bandes galopaient sur les flancs de l'armée.

Oudinot eut affaire à eux dès le 29 novembre. Il avait pris un peu d'avance la veille, mais, requérant des soins réguliers, sa grave blessure l'obligeait à des stations prolongées. Le guerrier aux innombrables cicatrices était alité dans une chaumière à Plechnitsié, à vingt-cinq kilomètres après Zembine, quand le village fut tout à coup parcouru par une nuée de Cosaques. Ils assiégèrent la maison où leurs renseignements situaient un haut gradé de l'armée française.

La petite suite du maréchal, dont son fils, se barricada et se défendit, Oudinot faisant lui-même feu avec ses pistolets par une ouverture. Les attaquants s'éloignèrent, pour revenir aussitôt avec deux canons qui criblèrent de mitraille la maison. Une éclisse arrachée d'une poutre par un tir frappa le maréchal, le blessant à nouveau. L'arrivée d'une centaine de fantassins ralliés par des officiers du 1er corps équilibra le combat, que rompit l'ennemi quand survinrent Junot et ses Westphaliens.

Les sauveteurs trouvèrent dans le village, comme une récompense providentielle, quantité de pommes de terre, de la paille et même du foin, un délice pour leurs chevaux.
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Le général Eblé rappela ses hommes. Éreintés, grelottants, n'ayant dans l'estomac que le vin que l'Empereur leur avait fait distribuer, ils se regardaient. On leur en demandait plus qu'aux bêtes. Après la promesse d'une prime, il se trouva quand même des volontaires pour quitter leur litière de paille, s'arracher à la chaleur des feux, enfiler leurs habits encore humides. A la lueur des lanternes, sous l'averse de neige, ils entrèrent encore une fois dans la Berezina afin d'y redresser ou remplacer les trois chevalets défaillants et réparer le tablier.

Le même pont, mis à l'épreuve par la succession des lourds charrois, céda à deux reprises encore au cours de la nuit, à deux heures et à six heures. Eblé sollicita à chaque fois le dévouement de ses pontonniers, qui de nouveau firent les gestes de leur métier tandis que l'eau gelait à leurs épaules et, près d'eux, enserrait dans la glace les jambes de vieux général.

A Lariboisière qui, embarrassé, venait lui demander de la part de l'Empereur de presser ses gens, Eblé se contenta de les montrer, le visage blême, la chemise trempée collée au torse, en train de transporter les tréteaux, frapper à la masse sur les madriers, les lier avec de grosses agrafes, clouer dessus des planches.
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La colère de Napoléon ne retomba pas, elle changea d'objet. Avisant un château dans le paysage, il exigea qu'on le livrât aux flammes. Deux escadrons de la Garde partirent au galop. Quelques minutes plus tard, le gris léger des premières volutes salissait le ciel. Il appliquerait désormais aux Russes leur propre stratégie, celle de la terre brûlée. Ordre fut donné à Davout de détruire toutes les constructions à sa portée, de manière qu'après lui l'ennemi n'eût plus un toit sous lequel s'abriter, plus un puits auquel s'abreuver.

La consigne fût exécutée scrupuleusement. Rien n'échappait aux boutefeux : châteaux, fermes, villages, tous les bâtiments à la ronde étaient incendiés sous les yeux de leurs habitants, s'ils ne s'étaient pas enfuis dans les bois. La besogne trouva des exécutants zélés dans toutes les unités, y compris celles de I'avant-garde. De part et d'autre de l'itinéraire montaient d'épaisses fumées. L'impatience et l'ivresse de détruire étaient si violentes, si contagieuses, qu'elles s'exerçaient au détriment de la Grande Armée elle-même. On ne se préoccupait pas qu'elle eût intégralement défilé pour mettre le feu, de sorte que beaucoup de soldats de l'arrière-garde ayant guerroyé pendant des heures devaient bivouaquer
en plein air, pelotonnés sous leur couverture, près des cendres des chaumières, des granges qui les auraient abrités. À Borovsk, le 3e corps dut éteindre l'incendie qui empêchait les caissons de son anillerie, bourrés de poudre, de traverser la ville.

L'ivresse du saccage en service commandé aggravait l'indiscipline, débridait la violence. Les cadavres de paysans, de filles violées, et même d'enfants, découverts ça et là, étaient plus nombreux que de coutume dans le sillage des armées en retraite. On n’avait pas le temps de chercher les coupables, on n'en avait même plus l'idée. Les prisonniers russes tombant d'épuisement, incapables de se relever, étaient achevés par leurs gardiens, le rebut de l'armée. Le long des fossés s’égrenaient, d'un coin de bois à un autre, les corps maigres des malheureux, la tête fracassée par une balle ou la crosse d'un fusil. L’écœurement des combattants qui voyaient ces sinistres jalons, leur indignation contre la lâcheté des moeurs s'éteignaient dans une meditation morose sur leur propre sort.
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Ce 5 décembre, à vingt-deux heures, précédée d'un détachement de chasseurs à cheval et de lanciers polonais, la dormeuse dans laquelle l'Empereur avait pris place avec Caulaincourt, muni d'une collection de pistolets, quitta les rues encombrées de Smorgoni. Elle était tirée par six petits chevaux du pays sous la conduite du mamelouk Roustam. Le suivaient dans deux voitures : Duroc, grand maréchal du palais, et le général Mouton, un valet de pied et un ouvrier pour réparer le matériel, dans la première. Fain, Constant, le valet de chambre et un garçon de bureau dans la seconde.

Tous les chevaux, attelages et escorte, avaient été ferrés à glace par les forgerons du Grand Ecuyer. L'Empereur avait réuni les maréchaux et le prince Eugène juste avant son départ pour les en prévenir et leur en donner les raisons. Il martela que l'essentiel du chemin était fait, que les Russes, pas moins éprouvés par la saison, ne tenteraient plus rien de sérieux et qu'une partie de la garnison de Vilna allait venir au-devant des troupes pour les soulager. La priorité était de reconstituer à bref délai une armée, de la masser en Pologne afin de contenir les Russes et d'en imposer à la Prusse.

(…)

Aussitôt que les voitures de l'Empereur et de sa suite eurent atteint la sortie du bourg, avant même que Ie dernier lancier de l’escorte n'ait été avalé par la nuit. Ie groupe des maréchaux se sépara. Ils regagnèrent leurs états-majors, masures ventées, enfumées par Ie bois vert où, l'estomac vide, les membres douloureux, leurs aides de camp, généraux et colonels se disputaient une place pour la nuit.
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A Maloïaroslavets, le prince Eugène montra le champ de bataille. En parcourant les ruines, il exposait le déroulement des combats et indiquait les lieux où avaient été atteints des chefs d'unité. Napoléon l'écoutait, il voyait surtout l'étendue du carnage, tous ces cadavres que l'on commençait à enlever pour les verser dans les fosses communes ou les entasser sur des bûchers. Il entendit, venant du bord de la rivière, la salve tirée par les grenadiers du 35e de ligne en hommage à leur colonel qu'on inhumait.

L’acharnement de l'ennemi, dont témoignaient ses nombreux morts, parmi eux beaucoup de jeunes recrues sommairement équipées, lui fit forte impression. Ces pauvres gens se faisaient hacher pour leur tsar, dont le régime les asservissait. Il poussa sa reconnaissance jusqu'à la limite des positions françaises et là, longuement, au bout de la prairie, explora du regard l’arc de cercle des forêts où se tenait l'armée russe. Il la battait à chaque rencontre - un massacre -, elle renaissait à chaque fois, aussi forte, aussi résolue. Il n'avait jamais vu ça.
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Le maréchal venait de demander en personne à la sentinelle de cesser sa faction, puisqu'il n'empêcherait pas le froid d'entrer, et d'aller s'abriter, lorsque brusquement le temps changea. Dans le hurlement de sa vitesse et le vacarme des arbres de la forêt qu'il traversait, le vent du nord balaya la plaine. Son souffle glacial agitait dans la nuit d'épais rideaux de neige. L’armée en retraite se trouvait à Valoutina où, deux mois et demi plus tôt, après la prise de Smolensk le 18 août, elle avait arraché aux Russes une coûteuse victoire. Le général Gudin y avait laissé la vie. Son tombeau fut en quelques minutes couvert d'une calotte blanche. Le thermomètre descendit cette nuit-Ià à vingtsept degrés au-dessous de zéro. Le lendemain, on comptait ceux qui se relevaient, accueiïlant l'aube et son pale soleil comme une délivrance et le signal de nouvelles souffrances. Les autres n'étaient plus que ces centaines de monticules épars sous le tapis de neige, près des faisceaux des fusils que nul ne réempoignerait. Le sergent Bourgogne, en secouant sa providentielle peau d'ours, s'était relevé. À côté, Emile de Hesse-Cassel, qui, à 22 ans, commandait le contingent hessois, s'était remis debout lui aussi. Il devait la vie aux cent cinquante dragons blottis autour de leur prince, sous leurs amples capes blanches. La majorité n'iraient pas au-delà.
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La retraite de Russie s'achevait devant le poteau frontière de la Prusse avec les derniers coups de lance des Cosaques, les derniers coups de feu pour les refouler au fond de la plaine de Pologne où ils galopaient sans gêne, comme à domicile. La terrible épreuve, pareille à cet hiver 1812 commencé bien avant le calendrier ordinaire des saisons, continuait dans les âmes et les corps des survivants.
Pendant quelque temps, beaucoup continuèrent de coucher par terre, sous une couverture, ne pouvant trouver le sommeil sur un matelas, entre des draps. Ils se mettaient à table avec une faim à dévorer le monde et trouvaient aux mets les plus simples une saveur incomparable. Ils buvaient beaucoup, ce qu'on leur vendait, de la bière, du vin du Rhin, puis l'ivresse des fins de repas se perdait dans inguérissable mélancolie.
Affluaient les fantômes, les visages des amis disparus dans les neiges, les scènes abominables du passage de la Berezina, la détresse suppliante des blessés abandonnés, les comportements ignobles de certains hommes, les gestes d'égoïsme auxquels on devait sa propre survie. Au soulagement d'être vivant, à la fierté d'avoir traversé l'épreuve dantesque, d'avoir surmonté les éléments et déjoué les Cosaques, était attaché pour la vie un indicible cortège de honte et de remords.
Dans les villes traversées sortaient enfin des sacs des survivants les petites richesses soustraites aux flammes de Moscou et rapportées à dos d'homme à travers les plaines désolées, les collines blanches et les rivières de glace du dernier cercle de l'enfer : un foulard de soie, un chandelier, un flacon de cristal, une icône, une bague...
Les acheteurs firent de bonnes affaires. Les vendeurs, de leur vie, n'avaient jamais rien acquis aussi chèrement.
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«  Des milliers de souvenirs se levaient à mesure qu’ils avançaient , des voix, des visages disparus.
Le ciel plein d’oiseaux noirs, le silence du site pénétraient les cœurs, l’odeur soulevait l’estomac . On n’entendait que le bruit des pas sur la route, accompagné des grincements des essieux comme un chant funèbre » .
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«  Des récits horrifiques circulaient dans la troupe sur la manière dont les paysans russes traitaient les Français tombés entre leurs mains ,….tués a petit feu, écorchés, ébouillantés ,enterrés vivants….
Le spectre d’une angoisse inédite accompagnait chaque combattant » …
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