Citations sur Une histoire de la fiche érudite (12)
D'une redoutable efficacité, la fiche facilite les renvois, rend possible une lecture fragmentaire, sert à multiplier les informations ponctuelles, à les compiler, à les commenter, à les expliciter, à les vérifier et à les corriger, ou encore à les authentifier. Elle engage aussi la question de la visualisation, et de la remémoration. Dans bien des cas, enfin, elle favorise l'inventivité et encourage l'imagination, incitant même le savant à entrer dans l'écriture et dans l' envie de transmettre au plus grand nombre le résultat de ses recherches.
En rendant les savoirs concrets, visibles, accessibles d'un coup de main, le système de la fiche facilite l'oubli, encourage l'amnésie. Il n'est plus nécessaire d'exercer sa mémoire puisque désormais, et grâce à une série de signes particuliers comme l'emploi d'une couleur ou l'organisation spatiale de la fiche, tout est fait pour soulager le savant de ce travail de mémorisation, au point de le rendre totalement inutile. Il devient plus important de se rappeler le lieu de stockage de l'information que l'information elle-même.
Théologie, droit, philologie, médecine, chimie... Les premiers savants qui décident d'utiliser les fiches ont des ancrages disciplinaires multiples.
L'armoire érudite a permis d'améliorer sensiblement la qualité et la fiabilité des informations recueillies sur fiches, mettant en avant l'idée d'une possible standardisation du travail d'érudition. Cependant, il faut attendre le dernier tiers du XIXe siècle pour que la question du mobilier devienne une préoccupation constante tant pour les savants que pour les diverses institutions qui ont fait le choix de recourir à la pratique du fichier.
C'est en 1878 qu'est envisagé pour la première fois l'idée d'un format international.
( C'est ce que semble indiquer Albert Maire dans son Manuel pratique du bibliothécaire, Paris, Picard, 1896 )
Ce qu'il faut s'approprier d'un maître, outre son savoir, c'est une manière de travailler et donc de "pratiquer" la science au quotidien, en particulier lorsqu'il s'agit de faire des fiches.
Antoine Albalat y associe également la question de la mémorisation :
si on enseignait aux élèves à faire des fiches, ils retiendraient infiniment plus de choses, et beaucoup plus facilement, parce que l'obligation seule de les écrire les leur graverait dans l'esprit, parce que relire c'est continuer à apprendre, et parce qu'enfin il y a toujours quelque chance de mieux retenir ce qu'on a pris la peine de ne pas perdre de vue. ( Antoine Albalat, Comment on devient écrivain, Paris, Plon, 1925, page 145 )
Écrire, accumuler, vérifier, fragmenter, réemployer... chacun de ces arguments en faveur du fichier sera repris pour démontrer, aussi, les limites du système.
Ces nombreuses instructions dispensées depuis le XIXe siècle pour réaliser un bon fichier se prolongent aujourd'hui sur Internet où se multiplient les "tutoriels" qui montrent comment résumer un ouvrage, prendre des notes, et le mettre en fiches - signe que la pratique n'a pas totalement disparu des gestes que doivent maîtriser les "jeunes" chercheurs.
Comment, surtout, se prémunir contre les effets morbides du principe du "cela peut toujours servir" qui est à la base de la composition d'un fichier, et qui rend difficile, voire impossible, la production d'une synthèse, d'une cohérence, ou encore d'une vision globalisante et unifiante du savoir produit ?