Dehors, j'essaie de réfléchir, je ne comprends rien mais ce qui est sûr, c'est que je suis d'un bout de l'année à l'autre dans un bain de pinard. Dès qu'il y a un évènement, bon ou mauvais, je me retrouve avec les litres sous le bras.
Il y a des fleurs blanches partout, autant que pour Titi. Maintenant, je sais que ma rue a un coeur. Et puis c'est l'église, j'essaie de me dire : "Barras est mort, c'est fini, je ne le verrai plus", mais je n'y crois toujours pas. J'ai l'impression que je vais me réveiller, qu'il sera là, qu'il nous attend à la loge.
Avant, moi, j’aimais bien les enterrements, c’est joli un corbillard plein de fleurs, je croyais que c’était une fête. Le soir, les gens étaient gais, c’était à celui qui serait le plus saoul, seulement, aujourd’hui, ce n’est pas pareil : Titi et sa mère envolés, la mort vient de prendre une forme dans mon crâne.
Il ne me restait comme joie que d'attendre une lettre des parents. Même ça, je n'y ai pas eu droit, pas une seule lettre pendant un an ! Une consolation quand même, l'école n'était pas obligatoire. Je n'y suis allée qu'une seule fois, pour voir, mais c'était pareil qu'à Paris, alors je n'y suis jamais retournée. J'étais tellement sauvage que je ne me suis même pas fait une copine.
Je croyais que l'horizon c'était le bout du monde, que la terre s'arrêtait là, c'était tellement beau, tellement grand que je ne pensais pas cela possible… Et c'est là que j'ai recommencer à entendre ce nom qui me suivra longtemps encore : "Berteaut et Compagnie".
- Alors, t'es contente ma Suzanne ? demande le père.
Mais moi, je n'aurais pas besoin de la questionner pour le savoir. Elle rit de partout :
- Ce soir, c'est la fête !
C'est quand même beau la famille.
- Alors, qu'est-ce qu'il y a qui ne va pas ?
Je baisse la tête :
- Je vais avoir un enfant.
- Tu sors avec un autre garçon ?
- Non, c'est toi.
D'un bond il est debout sur ses godasses cirées et se marre comme un fou. Je me mets à pleurer, du coup il s'arrête, s'agenouille devant moi :
- Tiens, prends mon mouchoir. Ecoute-moi bien, ce n'est pas possible, on a été au music-hall, à la fête et on s'est baladés dans la rue. Tu es d'accord ?
- Ouais, mais avant que tu partes, tu m'as embrassée sur la bouche.
- Et alors ?
- Je vais avoir un bébé.
- Ma pauvre Momone, ce que tu peux être gourde ! Moi qui te croyais affranchie, tu ne sais même pas comment on fait les enfants ! Salut, je me barre.
Il se retourne encore une fois :
- Eh Momone ! Si c'est un garçon, je serai le parrain.