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Critique de Charybde2


Magnifique réinvention d'un instant biographique : Roger Federer comme prétexte et guide d'un sens possible de la vie".

Publié début 2012, le quatrième roman (sixième si l'on tient compte des deux fictions biographiques sur Johnny Cash et sur Marlon Brando) d'Arno Bertina est bien "une aventure", et une grande.

Le narrateur, journaliste sportif spécialisé (caractérisé par une empathie hors du commun, qui lui permit notamment de devenir ami avec Mike Tyson - et de recueillir d'inédites confidences, à sa sortie de prison en 1995), suit l'immense Roger Federer, en 2008, au moment où le joueur dominateur enregistre ses tout premiers échecs depuis longtemps, et où le doute semble s'insinuer en lui, alors que la meute de commentateurs, vautours, se prépare. D'entretien repoussé en brefs échanges dans l'intimité, une étonnante relation va se nouer entre le reporter motard et le champion fugitivement amoindri, nourrie par deux rencontres oniriques poussant à "chercher un chemin de vie" entre le Robert Pirsig méticuleux du "Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes" et le Thoreau rageur de "Walden ou la vie dans les bois".

Complices, montant une folle équipée à moto entre Bâle et Londres pour "désenvoûter" le tennisman suisse, les deux compères, profitant d'un instant de relâche avant Roland-Garros 2009, se rendent à Bamako pour aider le projet de développement par le tennis d'un étonnant Philippin... avant que Federer, retrouvé, ne retourne à son destin de champion, pourtant subtilement changé (auquel serviraient de manifeste - magnifique ! - une interview à l'issue de Wimbledon 2009, et les phrases finales du livre, exceptionnelles de beauté humoristique), tandis que le narrateur poursuit sa quête, rentrant doucement en Europe en passant par la Mauritanie, l'ex-Sahara Espagnol et le Maroc, où il trouve peut-être sa synthèse personnelle en compagnie d'un - miraculeux ? - John Muir (le célèbre marcheur / explorateur) rencontré sur le chemin...

Roman foisonnant, loin de l'unique obsession du tennis (pourtant superbement décrit, des subtilités du jeu du Suisse aux matchs réinventés - tels cette finale de Roland-Garros 2009, qui a lieu ici en cinq sets de légende, plutôt que les trois manches relativement sèches de la réalité...), roman d'une quête existentielle qui garde toujours une dose de "tongue-in-cheek" bienvenue, servi par un heureux maniement de la langue et une dose d'absurde savamment distillée au fil des rencontres...

"Je résume : au cours des cent premiers kilomètres, je me suis arrêté trois fois, un souvenir insaisissable m'a retenu par le col, je me suis engueulé avec le fantôme d'un écrivain que je ne connais pas avant d'être secouru par l'aspirant-fantôme d'un autre écrivain dont le nom ne me dit rien non plus. Je conduis n'importe comment depuis tout à l'heure, incapable de me concentrer, et la moindre de mes pensées a l'allure d'une eau limoneuse que rien ni personne ne laisserait décanter. La tête sens dessus dessous, j'adapte la route au comportement de cette vase mentale à la façon d'un funambule étourdi qui ferait de son corps un balancier pour que le verre qu'il transporte surtout ne se renverse pas."

Une très belle réussite qui, à l'instar du "Killing Kate Knight" d'Arkady K., nous montre avec talent ce que l'on peut créer, de profond et de drôle simultanément, en s'appuyant sur la réinvention de la vie et du parcours d'une "célébrité", lorsque l'effort est fait de chercher du "sens" dans l'apparemment anodin.
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