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07 décembre 2021
Le capital sous les lunettes du genre, le capital pensé comme un rapport de pouvoir

Dans leur introduction, Céline Bessière et Sibylle Gollac débutent par un exemple, la situation d'Ingrid, « elle a donné un visage dans les médias à ce que les données statistiques décrivaient depuis longtemps : la pauvreté des femmes qui sont à la tête de familles monoparentales ». Elles décrivent certains éléments du mouvement des Gilets jaunes et soulignent : « Dans les classes populaires, les problèmes d'argent sont des problèmes de femmes ».

Un autre exemple, cette fois une femme étasunienne, au mari devenu très célèbre et très riche, « Elle met aussi entre parenthèses son ambition de romancière, pour s'occuper de quatre enfants », un divorce après vingt-cinq ans de mariage, « Chez les riches, a fortiori les ultra-riches, le capital reste une affaire d'hommes ».

Deux exemples pour entamer des analyses sur les inégalités de richesse, les classes sociales et le genre.

Les autrices citent les travaux de Thomas Piketty sur le capital au XXIe siècle, « l'inégalité patrimoniale est une caractéristique centrale du capitalisme contemporain ». Elles abordent, entre autres, le rôle du capital économique dans la structuration de notre société de classes, les travaux de Christine Delphy sur l'exploitation du travail gratuit des femmes, les assignations des femmes à la prise en charge des enfants et à la bonne tenue de l'économie domestique, l'appauvrissement des femmes après leur séparation conjugale, les similitudes aux deux extrémités de l'échelle sociale, « Dans les sociétés occidentales, l'égalité en matière de droit du travail, du droit de la famille et de droit de propriété est une conquête des XIXe et XXe siècles qui paraît désormais acquise. Pourtant, en dépit de ce droit formellement égalitaire, les hommes continuent à accumuler davantage de richesses que les femmes ».

Céline Bessière et Sibylle Gollac rappellent que « les femmes ont toujours travaillé autant, voire plus que les hommes ». Elles discutent du travail des femmes et du salaire des hommes, de la production domestique invisible et gratuite assurée très largement par des femmes, de l'émiettement du temps de travail des femmes, de leur disponibilité pour autrui, de la charge mentale domestique, de délimitation dans le temps et dans l'espace du travail, « L'inégalité salariale est ainsi un condensé d'un grand nombre d'inégalités cumulés dans le famille et sur le marché du travail salarié, en haut comme en bas de la hiérarchie professionnelle », de cette inégalité économique qui « structure et condense le destin socio-économique des individus et se transmet d'une génération à l'autre ».

Inégalité des revenus, inégalité patrimoniale, « il faut s'intéresser non plus seulement aux revenus, mais aussi aux patrimoines ». Les autrices abordent les limites des mécanismes juridiques comme la communauté de biens réduite aux acquêts, « la conjugalité hétérosexuelle n'assure pas un partage équitable des bénéfices de la spécialisation des hommes dans la carrière professionnelle et des femmes dans la production domestique », l'augmentation des inégalités de patrimoine entre les ménages et l'accroissement des inégalités de richesse entre femmes et hommes, « Pour saisir pleinement l'inégalité patrimoniale entre les hommes et les femmes, il faut aussi entrer dans le vif des relations familiales ».

Il faut donc enquêter sur la production familiale des inégalités de richesse, l'organisation de la circulation et du contrôle de ces richesses, les « arrangements économiques familiaux ». Il faut abandonner le fantasme de relations familiales « privées », réaliser des monographies de familles, « En réalisant ces monographies de familles, nous avons décrit au plus près les transferts économiques familiaux. Nous les avons observés dans la durée, du point de vue des groupes familiaux concernés, des individus qui les composent et au fil des transformations de leurs relations », discuter des transactions intimes, « Les arrangements économiques familiaux ne sont jamais uniquement des questions d'argent et de biens » (en complément possible les travaux de Carole Pateman sur le contrat sexuel) , des places différentes occupées par les femmes et les hommes, des cours ordinaires de la vie quotidienne, des deux moments « extraordinaires de formalisation et d'explicitation de ces arrangements : les séparations conjugales et les successions », du droit de la famille et du droit social, du droit fiscal et des professionnel·les du droit…

« En matière de capital, on ne peut comprendre séparément les inégalités de classe et les inégalités de genre » (Les autrices indiquent la dimension raciale des inégalités de richesse aux Etats-Unis). le genre du capital. « En explorant les arrangements économiques familiaux, nous étudions les lieux concrets où se jouent indissociablement ces différentes dynamiques inégalitaires ». Elles abordent la famille comme institution économique à part entière, « une instance de production, de circulation, de contrôle et d'évaluation des richesses », les stratégies familiales de reproduction, les lieux discrets des arrangements et les formalisations juridiques, l'activité des notaires et des avocat·es, « elle contribue à dissimuler, entériner et légitimer l'inégalité patrimoniale entre les hommes et les femmes », les normes genrées intégrées à la comptabilité, les petits ou les grands arrangements avec le fisc, les démarches que les femmes doivent effectuer et leur mise « en position de demandeuses », les pratiques féminines qui contribuent à l'enrichissement des familles « largement invisibilisées, niées, au mieux discutées ». le capital au XXIe siècle reste résolument masculin…

Sommaire :

1. La famille, une institution économique
L'héritier et la « femme de »
La famille libérée de l'héritage ?
Un héritage culturel plutôt qu'économique ?
Le retour des transmissions économiques familiales
Une production familiale des inégalités entre les classes sociales
Le ménage au sens des statistiques : un cache-sexe de l'inégalité patrimoniale
Le genre du capital dans les enquêtes statistiques : apports et limites
Les séparations conjugales, un moment révélateur de l'inégalité de genre
Pour une sociologie matérialiste de l'institution familiale
Donner à voir les arrangements économiques familiaux
2. Des stratégies familiales de reproduction défavorables aux femmes
Arrangements économiques et stratégies familiales de reproduction
Le « fils préféré » dans les familles d'indépendants
« Ça ressemble à la loi salique, c'est incroyable ! »
Les choses qu'il faut garder
Du patronyme au patrimoine
Du « fils préféré » à l'inégalité patrimoniale au sein du couple
Héritages et ascendant patrimonial dans le couple
Dans la famille et sur le marché du travail : une dynamique inégalitaire persistante
Les formes renouvelées de la domination masculine patrimoniale
Individualisation du patrimoine et horizon de la séparation
Le renoncement des veuves à la propriété
La veuve, les divorcées et le « relais du patriarche »
3. Selon que vous serez (un homme) puissant ou (une femme) misérable
Un accompagnement juridique segmenté et différencié
Des opportunités inégales de rencontrer un conseil
Des notaires au service de la propriété du jeune marié
Un PDG bien entouré
Des arrangements patrimoniaux à l'ombre du droit
De « bons clients » qui ressemblent à leur notaire
Des cabinets généralistes, un traitement différencié de la clientèle
En région parisienne : un marché segmenté
Des outils juridiques différenciés selon le capital économique et culturel
Les usages sociaux différenciés du droit international privé
4. Des comptabilités sexistes sous couvert d'un droit égalitaire
Un droit égalitaire : histoire d'une conquête récente
Des comptabilités inversées
Des évaluations et des inventaires à l'ombre du marché
Les biens structurants pour les uns, des compensations pour les autres
Quand une entreprise est au centre de la succession
Des notaires attachés au principe de l'égalité, mais…
Une vision masculine du « bon héritier »
La veuve ou l'envers du « bon héritier »
La comptabilité inversée des divorces
Le logement pour solde de tout compte
5. Une paix des familles à l'ombre du fisc et aux dépens des femmes
Un benjamin récalcitrant
La fiscalité des donations et successions
Des intérêts fiscaux divergents
Récolter et minimiser l'impôt : le paradoxe des notaires
Face au fisc, un principe de confidentialité à géométrie socialement variable
Contre le fisc, toutes et tous d'accord ?
Des réflexes d'optimisation fiscale au bénéfice de la richesse des hommes
Un impensé sexiste : la fiscalisation des pensions alimentaires
Des paradis fiscaux au travail au noir : la production de l'ignorance du fisc et des femmes
6. Une justice pour compenser les inégalités de richesse ?
Des compensations réservées aux couples mariés
Un dispositif de compensation affaibli et réservé aux riches
Au commencement était la richesse disponible de l'époux
Primat de la richesse de l'époux versus non-reconnaissance du travail de l'épouse
Le travail domestique : un travail gratuit pour convenance personnelle ?
« Il a beaucoup de sous, le monsieur. D'ailleurs, je pense que c'était ce qui l'intéressait, elle ! »
Des magistrates réticentes à la fixation d'une prestation compensatoire
Le champ de vision limité des juges sur les arrangements patrimoniaux
Attribution du domicile conjugal, tempo de la liquidation et rapports de pouvoir
Conserver le domicile conjugal : une partie d'échecs inégalitaire
7. Esclave entre tous est l'ex-femme du prolétaire
La pauvreté des familles monoparentales
La mendiante et le bon prince
Une pension alimentaire adaptée aux revenus du père
Des pères qui travaillent, des mères disponibles
Un barème qui ne tient pas compte des sacrifices des mères
Quand des pères ne paient pas leur pension alimentaire
Recouvrer les pensions alimentaires impayées : une nouvelle mission pour la CAF ?
Le contrôle du budget et de la sexualité des femmes

En conclusion, Céline Bessière et Sibylle Gollac reviennent, entre autres, sur l'accroissement des inégalités de richesse, le rapport différencié des familles au droit, « les modalités socialement situées de confrontation avec le droit de la famille et de la propriété produisent des différences dans la maîtrise de l'officialisation des patrimoines », la distribution du patrimoine entre les membres des familles, les unes et les autres « ne détiennent pas le même pouvoir sur ce qu'ils et elles possèdent », la nécessité d'une sociologie féministe de la famille, la contestation des perspectives androcentrées des connaissances, le travail réflexif et la soi-disant neutralité, la violence économique faite aux femmes et aux enfants, les impayés de pensions alimentaires, les stratégies familiales de reproduction, l'occultation des transmissions économiques « sonnantes et trébuchantes », les rapports de domination à l'intérieur des familles, les orientations scolaires genrées, les rapports différenciés et sexués au travail, les fils porteurs privilégiés du statut social, l'appauvrissent des femmes lors des ruptures conjugales, le droit formellement égalitaire et sa légitimation de l'inégalité, la comptabilité officielle et les comptabilités inversées, l'invisibilité de la valeur du travail domestique, les processus de conservation et de transmission des richesses, « on ne pourra abolir la société de classes sans renverser l'ordre du genre »…

Si certaines formules employées me semblent discutables, les analyses des autrices concurrent à expliquer la construction et la reproduction des inégalités sexuées, le rôle de l'institution familiale dans la subordination des femmes, les fonctionnement sociaux au détriment des femmes, le genre du capital

plus deux articles des autrices
Lien : https://entreleslignesentrel..
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