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Ce passionnant ouvrage, fruit d'une importante compilation de travaux de recherches sociologiques, est une lecture idéale pour nourrir et approfondir sa réflexion sur les discriminations économiques basées sur le genre. Si vous avez déjà lu des livres généralistes comme celui de Titiou Lecoq par exemple, le couple et l'argent, vous retrouverez des sujets familiers, mais abordés avec plus d'ampleur et de profondeur.

Les autrices revendiquent une démarche militante, souhaitant intégrer les apports des théories du genre à une démarche sociologique issue de Bourdieu. La thèse défendue est la suivante : le capital économique, dans le monde contemporain, est principalement et de plus en plus issu de l'héritage, donc de la famille ; or, malgré une stricte égalité défendue par le droit, les femmes sont pénalisées dans leur accès à la richesse par de multiples mécanismes sociaux de reproduction, qui se manifestent particulièrement dans les situations où la famille explose : successions et séparations.

Pour scruter et comprendre ces mécanismes, les autrices présentent des analyses de données statistiques ou de dossiers, d'entretiens menés auprès de familles et de professionnels du droit de la famille, d'observation de rendez vous entre les professionnels et leurs clients de tous milieux sociaux. de nombreux récits de cas viennent illustrer le propos.
Étant déjà bien sensibilisée au sujet, j'ai appris beaucoup en lisant ce livre agréablement écrit, aux conclusions lucides mais cruelles, dont il me semble que la posture militante ne dessert pas le souci scientifique.

Un ouvrage de référence sur un sujet tabou mais central, dont on parle finalement trop peu dans les revendications féministes, alors qu'il est absolument central, et chaque femme peut en témoigner par sa situation personnelle ou celle de ses amies ou proches.
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Cet excellent travail de sociologie critique provoque le dévoilement des mécanismes impensés et en grande partie involontaires, mais néanmoins systématiques, de création des inégalités de genre dans l'accumulation, la gestion, l'éventuel partage lors de la résolution de la communauté matrimoniale et enfin la transmission héréditaire du patrimoine. Sont visées la famille et la justice : la première comme lieu de reproduction des telles inégalités, la seconde comme moyen de les aggraver par une certaine interprétation du droit de la part de ses professionnels : avocats, notaires, juges. L'exposé mêle de façon très équilibrée les apports théoriques et le terrain des études de cas et des entretiens avec ces professionnels.
À une époque où les inégalités de patrimoine sont de plus en plus prégnantes, où le salariat n'est plus un réparateur d'écarts de revenus, la disparité de ressources entre hommes et femmes se creuse ; (ré-)émergent alors des atavismes dignes de la loi salique : favoritisme entre héritiers en dépit de la loi et au plus grand profit de la conservation de l'unité patrimoniale, surtout dans le foncier et dans les actifs professionnels (capitaux des entreprises familiales) ; mariage bourgeois conçu comme une rente et une garantie à vie même lors de sa dissolution, en contradiction avec une vision de la femme active capable de mener de front sa carrière et les tâches ménagères et parentales qui continuent de lui incomber très majoritairement ; dispositions apprises aux fillettes dès leur plus jeunes âge au désintéressement, au dévouement, au sacrifice de soi, voire au travail gratuit ou sous-payé au sein de l'entreprise familiale, en vue de la paix domestique et de la meilleure transmission possible de la fortune aux enfants.
Les positions sociologiques respectives ainsi qu'une certaine identification (ou son contraire) entre les professionnels du droit et leurs clients ou les justiciables s'avèrent beaucoup plus significatives dans la perpétuation et l'accentuation des inégalités que la lettre de la loi, surtout dès lors qu'elles vont de pair avec la question de « l'optimisation fiscale »...
Les auteures sont engagées, pour ne pas dire militantes. le féminisme du lecteur est mis à l'épreuve de ses propres convictions, ce qui est très salutaire, car on se surprend parfois à comprendre sinon à excuser les « arrangements » des testateurs (dans la mesure où l'on accepte la légitimité de la succession et la liberté de disposer de ses biens après sa mort...) ; les réticences des magistrates chargées des affaires familiales à favoriser des femmes dont elles désapprouvent la philosophie de vie ; un peu moins (!) les manigances des notaires et avocats véreux ; pas du tout le populisme des hommes et femmes politiques réformateurs récents de la CAF... : mais là aussi, c'est selon les sensibilités et la capacité d'identification de chaque lecteur avec les membres de la classe sociale à laquelle il appartient ou dont il se sent proche, donc par forcément avec les sociologues... – et c'est toujours très opportun d'en prendre conscience. Cela excuse les répétitions et les longueurs d'un essai par ailleurs très richement annoté, sourcé et agrémenté de matériaux ethnographiques de qualité.



Table [commentée] :

Introduction
[Sur la pertinence croissante des inégalités patrimoniales par rapport aux inégalités des revenus, entre les genres]

1. « La famille, une institution économique »
[Sur l'occultation historique du caractère économique de l'institution familiale et sur les étapes de l'accumulation, de la gestion-disposition, de la transmission patrimoniale, constitutives des inégalités genrées en son sein]

2. « Des stratégies familiales de reproduction défavorables aux femmes »
[Sur la constitution précoce d'un « héritier préféré », sur l'impensé étymologique de l'assimilation entre « pater », « patronyme » et « patrimoine »]

3. « Selon que vous serez (un homme) puissant ou (une femme) misérable »
[Sur l'accompagnement juridique visant à des « arrangements patrimoniaux à l'ombre du droit » au détriment du fisc et de l'épouse...]

4. « Des comptabilités sexistes sous couvert d'un droit égalitaire »
[Sur la « comptabilité inversée », les « biens structurants » et les compensations en matière de succession]

5. « Une paix des familles à l'ombre du fisc et aux dépens des femmes »
[Sur la fiscalité des donations, des successions, des pensions alimentaires, sur le travail au noir et tous les autres moyens légaux « d'optimisation fiscale » qui convergent pour pénaliser les femmes]

6. « Une justice pour compenser les inégalités de richesse ? »
[Sur les façons de minorer les compensations lors du divorce et sur la perspective anti-féministe des juges des affaires familiales (JAF) qui sont pourtant très majoritairement des femmes]

7. « Esclave entre tous est l'ex-femme du prolétaire »
[Sur la pauvreté des familles monoparentales précaires, sur les difficultés du recouvrement des pensions alimentaires impayées et sur la « prise en charge » par la CAF à condition d'un contrôle du budget et de la sexualité des mères isolées]

Conclusion
[Sur l'articulation des études de genre et des études économiques du capital vers un renouveau du concept de classe]


Cit.


1. « En France, à la fin des années 1990, à la suite d'un divorce, le revenu médian des femmes décroît d'un tiers, une des baisses les plus importantes dans l'Union européenne. Ce constat est renouvelé au début des années 2000 pour l'ensemble des séparations […] : le revenu médian des femmes après une séparation se détériore de 31%, contre seulement 6% pour les hommes. » (p. 43)

2. « Or être le plus âgé au moment de la mise en couple signifie concrètement être plus avancé dans sa carrière professionnelle et avoir plus de chances, toutes choses égales par ailleurs, de détenir un patrimoine propre plus important, qu'il soit hérité ou le produit d'économies réalisées en début de vie active. Les inégalités patrimoniales de départ ont alors toutes les chances de s'approfondir au cours de la vie de couple : le plus âgé qui est aussi le plus riche faisant fructifier son patrimoine propre, tandis que l'autre accommode sa carrière professionnelle en fonction. » (p. 72)

3. « On comprend, en creux, comment la fréquentation régulière des cabinets et études des professions libérales du droit permet d'éviter de se confronter au cadre légal dans des circonstances économiquement défavorables. Car ce ne sont pas seulement des informations juridiques qu'avocat.es et notaires proposent à leurs client.es, mais aussi un cadre privé pour mettre leurs arrangements économiques en conformité avec le droit, à l'abri du regard des agents de l'État. Ce huis clos introduit d'importantes marges de manoeuvre dans l'application du droit. […]
C'est dans la relation avec les professions juridiques libérales que se jouent une grande partie des inégalités sociales face au droit de la famille et de la propriété. Il y a d'abord des inégalités sociales d'accès à ces professionnel.les. […] Ensuite […] les professionnel.les du droit ne traitent pas de la même manière leurs client.es, selon la classe et le genre de ces derniers et dernières. Ces différences de traitement sont le résultat combiné d'une segmentation du marché du conseil patrimonial et d'une différenciation des pratiques professionnelles, en fonction des caractéristiques de la clientèle. » (p. 96)

4. « Est-ce que les professions libérales du droit […] cherchent consciemment à favoriser les hommes par rapport aux femmes ? La question de l'intentionnalité n'est sans doute pas la bonne. La comptabilité inversée est une "logique de la pratique" au sens de Pierre Bourdieu, c'est-à-dire un système incorporé de dispositions qui, sans l'organisation d'une intention, est néanmoins capable d'orienter les pratiques d'une façon qui est à la fois inconsciente et systématique. Des représentations genrées de l'ordre social sont charriées au travers de ces comptabilités, notamment autour de la définition d'un bon héritier on d'un bon chef d'entreprise, d'une veuve raisonnable ou d'une bonne mère, des biens qui doivent être transmis dans la lignée ou qui peuvent être transférés à une conjointe. Les transferts économiques entre personnes apparentées sont empreints d'impensés sexistes, incorporés dans les manières même de compter des notaires et des avocat.es et, de ce fait, dissimulés et légitimés par le droit. » (pp. 165-166)

5. « Les critères juridiques de calcul de la prestation compensatoire sont annulés par cette logique de comptabilité inversée. Quel que soit le besoin dans lequel puisse se retrouver une partie ; quelle que soit la disparité de richesse entre mari et femme ; mais aussi quel que soit le travail gratuit (domestique ou professionnel) réalisé par la conjointe, ce qui prime avant tout est la capacité de paiement de l'époux. Or cette richesse disponible de l'époux est pensée sous la forme d'un capital disponible en numéraire : la compensation ne doit pas mettre en danger la propriété des biens de l'époux structurant son patrimoine familial. La compensation de l'inégalité économique entre époux et épouse passe donc après l'accumulation et la transmission de la richesse en lignée masculine. » (p. 208)

6. « C'est donc doublement que le barème de pensions alimentaires néglige les sacrifices économiques réalisés par les mères seules qui élèvent leurs enfants : il ne tient pas compte des sacrifices de consommation de ces dernières en faveur de leurs enfants, ni des sacrifices en termes de carrière et de revenus pour pouvoir les prendre en charge au quotidien. » (p. 255)
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Un titre inquiétant dîtes-vous?
Oh, je dirais qu'il est déictique. Comme le geste premier et ultime des enfants qui montrent les choses du doigt car ils ne savent pas encore les nommer ou parce qu'elles les émerveillent ou, au contraire, leur font peur. Un titre, c'est un peu ça : montrer les choses du doigt.
Ce livre, écrit par deux sociologues : une professeure de faculté et une chercheuse au CNRS après 20 années à suivre, pas à pas et, surtout, mot à mot, les notaires, les JAF, les avocats, les familles aussi pendant leur divorce ou leur héritage. En province (comme disent les Parisiens) ou à Paris. Un livre écrit alors que l'affaire autour de l'héritage de Johnny Hallyday éclate. Ça pose son livre cette anecdote, je sais....
Patiemment, ces deux femmes ont écouté, relevé les mots, beaucoup de mots latins : des mots d'un autre monde qui, pourtant, ont toujours cours.
C'est là qu'elles rappellent que patrimoine et patronyme ont la même origine : "pater"...
J'ajoute, humblement, que le mot famille vient du latin "familia" qui signifie : l'ensemble des esclaves.
Ce livre c'est l'acceptation des familles dans la peine, c'est ces femmes, toutes ces femmes qui disent et ne sont pas entendues, pas comprises, c'est les dérives de certains juges qui ont oublié le sens du mot "impartialité" , c'est l'univers des faux-monnayeurs, c'est un passé patriarcal qui se conjugue au présent.
Ce livre c'est donc un présent d'inertie.
Or le présent qui applique le passé n'est qu'un présent de répétition, un rejeton, c'est pire...
Ces deux sociologues, comme le demande leur métier qu'elles ont épousé, renvoient le miroir de ce présent pour qu'il change.
Avec une intelligence fine et nuancée, avec une grande honnêteté intellectuelle.
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formidable, et rageant... ou comment le patriacat influe sur le patrimoine de chacun des 2 sexes, en lésant, évidemment, toujours la même moitié de la population. malgré le sujet parfois ardu, la vulgarisation est suffisante pour que l'on comprenne les éléments apportés par les autrices. passionnant!
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Un essai passionnant, fruit de 15 années de recherche. Les deux sociologues ont pénétré les cabinets des notaires, avocat•es et magistrat•es, afin d'étudier les coulisses des héritages et des séparations. Que ce soit le divorce d'un PDG d'une entreprise de transport, celui de mères isolées, ou la mort très médiatisée de Johnny Hallyday, elles passent au crible le contrôle, la circulation et la répartition de l'argent entre les personnes.
Les mécanismes aboutissent majoritairement en défaveur des pauvres : ce sont des cas moins intéressants à défendre pour des avocat•es commis•es d'office qui n'ont que peu de temps à leur accorder, contrairement aux avocat•es et notaires aux tarifs élevés qui prennent le temps sur le dossier de leurs client•es riches, se familiarisent, et offrent diverses combines pour de l'optimisation fiscale éventuellement... Et en défaveur  des femmes : des pensions alimentaires faibles ou inexistantes, ne prenant pas en compte le travail domestique et le coût réel de l'éducation des enfants; et pour les héritages, des lignées masculines dans lesquelles on confie différemment l'argent à un homme, censé mieux savoir comment le faire fructifier.
Les a priori sexistes sont nombreux. Les femmes ne sauraient pas bien gérer l'argent. Dans les classes populaires ce sont souvent elles qui le gèrent ; mais dans les classes supérieures, quand il y a beaucoup d'argent, il est contrôlé par un homme, qui garde le contrôle et le pouvoir.
Les discriminations juridiques ont longtemps empêché les femmes d'accumuler de la richesse. Aujourd'hui les lois permettent une égalité théorique, qui n'est pas réalisée en pratique. L'inégalité est souvent due à des arrangements économiques familiaux. Or, avoir du patrimoine détermine l'accès à l'éducation, à l'emploi, au logement.
Il y a plein de cas décrits finement. Celui que je garde le + en tête est la succession de 2 soeurs et 1 frère, organisée avant décès des parents. le frère hérite de + de patrimoine (locaux) pour monter son propre commerce (une boulangerie) et l'accord trouvé est de payer des pains au chocolat à ses soeurs tous les matins pendant quelques années. Oui, ça sent l'arnaque, et les femmes se font souvent avoir dans ses transactions intimes qui mêlent les valeurs, les obligations morales et l'argent.
Les sociologues prouvent qu'après un XXè ayant réduit la part de l'héritage dans le capital des personnes (on pouvait aussi acquérir du capital avec son travail, par exemple), on constate un retour du nécessaire héritage, et un retour de l'institution familiale comme acteur clé de l'économie. Qui renforce par conséquent les frontières de race et de classe.
Rejoignant les thèses des féministes matérialistes et de l'économie Thomas Piketty, cet ouvrage fabuleux explorent les inégalités dans la France contemporaine, et m'a fait découvrir dans le détail les professions juridiques...qui jouent leur rôle aussi dans le creusement des inégalités économiques entre hommes et femmes, entre riches et pauvres.
En un mot, les classes sociales doivent être observées à partir des rapports familiaux et des inégalités de genre.
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Le capital sous les lunettes du genre, le capital pensé comme un rapport de pouvoir

Dans leur introduction, Céline Bessière et Sibylle Gollac débutent par un exemple, la situation d'Ingrid, « elle a donné un visage dans les médias à ce que les données statistiques décrivaient depuis longtemps : la pauvreté des femmes qui sont à la tête de familles monoparentales ». Elles décrivent certains éléments du mouvement des Gilets jaunes et soulignent : « Dans les classes populaires, les problèmes d'argent sont des problèmes de femmes ».

Un autre exemple, cette fois une femme étasunienne, au mari devenu très célèbre et très riche, « Elle met aussi entre parenthèses son ambition de romancière, pour s'occuper de quatre enfants », un divorce après vingt-cinq ans de mariage, « Chez les riches, a fortiori les ultra-riches, le capital reste une affaire d'hommes ».

Deux exemples pour entamer des analyses sur les inégalités de richesse, les classes sociales et le genre.

Les autrices citent les travaux de Thomas Piketty sur le capital au XXIe siècle, « l'inégalité patrimoniale est une caractéristique centrale du capitalisme contemporain ». Elles abordent, entre autres, le rôle du capital économique dans la structuration de notre société de classes, les travaux de Christine Delphy sur l'exploitation du travail gratuit des femmes, les assignations des femmes à la prise en charge des enfants et à la bonne tenue de l'économie domestique, l'appauvrissement des femmes après leur séparation conjugale, les similitudes aux deux extrémités de l'échelle sociale, « Dans les sociétés occidentales, l'égalité en matière de droit du travail, du droit de la famille et de droit de propriété est une conquête des XIXe et XXe siècles qui paraît désormais acquise. Pourtant, en dépit de ce droit formellement égalitaire, les hommes continuent à accumuler davantage de richesses que les femmes ».

Céline Bessière et Sibylle Gollac rappellent que « les femmes ont toujours travaillé autant, voire plus que les hommes ». Elles discutent du travail des femmes et du salaire des hommes, de la production domestique invisible et gratuite assurée très largement par des femmes, de l'émiettement du temps de travail des femmes, de leur disponibilité pour autrui, de la charge mentale domestique, de délimitation dans le temps et dans l'espace du travail, « L'inégalité salariale est ainsi un condensé d'un grand nombre d'inégalités cumulés dans le famille et sur le marché du travail salarié, en haut comme en bas de la hiérarchie professionnelle », de cette inégalité économique qui « structure et condense le destin socio-économique des individus et se transmet d'une génération à l'autre ».

Inégalité des revenus, inégalité patrimoniale, « il faut s'intéresser non plus seulement aux revenus, mais aussi aux patrimoines ». Les autrices abordent les limites des mécanismes juridiques comme la communauté de biens réduite aux acquêts, « la conjugalité hétérosexuelle n'assure pas un partage équitable des bénéfices de la spécialisation des hommes dans la carrière professionnelle et des femmes dans la production domestique », l'augmentation des inégalités de patrimoine entre les ménages et l'accroissement des inégalités de richesse entre femmes et hommes, « Pour saisir pleinement l'inégalité patrimoniale entre les hommes et les femmes, il faut aussi entrer dans le vif des relations familiales ».

Il faut donc enquêter sur la production familiale des inégalités de richesse, l'organisation de la circulation et du contrôle de ces richesses, les « arrangements économiques familiaux ». Il faut abandonner le fantasme de relations familiales « privées », réaliser des monographies de familles, « En réalisant ces monographies de familles, nous avons décrit au plus près les transferts économiques familiaux. Nous les avons observés dans la durée, du point de vue des groupes familiaux concernés, des individus qui les composent et au fil des transformations de leurs relations », discuter des transactions intimes, « Les arrangements économiques familiaux ne sont jamais uniquement des questions d'argent et de biens » (en complément possible les travaux de Carole Pateman sur le contrat sexuel) , des places différentes occupées par les femmes et les hommes, des cours ordinaires de la vie quotidienne, des deux moments « extraordinaires de formalisation et d'explicitation de ces arrangements : les séparations conjugales et les successions », du droit de la famille et du droit social, du droit fiscal et des professionnel·les du droit…

« En matière de capital, on ne peut comprendre séparément les inégalités de classe et les inégalités de genre » (Les autrices indiquent la dimension raciale des inégalités de richesse aux Etats-Unis). le genre du capital. « En explorant les arrangements économiques familiaux, nous étudions les lieux concrets où se jouent indissociablement ces différentes dynamiques inégalitaires ». Elles abordent la famille comme institution économique à part entière, « une instance de production, de circulation, de contrôle et d'évaluation des richesses », les stratégies familiales de reproduction, les lieux discrets des arrangements et les formalisations juridiques, l'activité des notaires et des avocat·es, « elle contribue à dissimuler, entériner et légitimer l'inégalité patrimoniale entre les hommes et les femmes », les normes genrées intégrées à la comptabilité, les petits ou les grands arrangements avec le fisc, les démarches que les femmes doivent effectuer et leur mise « en position de demandeuses », les pratiques féminines qui contribuent à l'enrichissement des familles « largement invisibilisées, niées, au mieux discutées ». le capital au XXIe siècle reste résolument masculin…

Sommaire :

1. La famille, une institution économique
L'héritier et la « femme de »
La famille libérée de l'héritage ?
Un héritage culturel plutôt qu'économique ?
Le retour des transmissions économiques familiales
Une production familiale des inégalités entre les classes sociales
Le ménage au sens des statistiques : un cache-sexe de l'inégalité patrimoniale
Le genre du capital dans les enquêtes statistiques : apports et limites
Les séparations conjugales, un moment révélateur de l'inégalité de genre
Pour une sociologie matérialiste de l'institution familiale
Donner à voir les arrangements économiques familiaux
2. Des stratégies familiales de reproduction défavorables aux femmes
Arrangements économiques et stratégies familiales de reproduction
Le « fils préféré » dans les familles d'indépendants
« Ça ressemble à la loi salique, c'est incroyable ! »
Les choses qu'il faut garder
Du patronyme au patrimoine
Du « fils préféré » à l'inégalité patrimoniale au sein du couple
Héritages et ascendant patrimonial dans le couple
Dans la famille et sur le marché du travail : une dynamique inégalitaire persistante
Les formes renouvelées de la domination masculine patrimoniale
Individualisation du patrimoine et horizon de la séparation
Le renoncement des veuves à la propriété
La veuve, les divorcées et le « relais du patriarche »
3. Selon que vous serez (un homme) puissant ou (une femme) misérable
Un accompagnement juridique segmenté et différencié
Des opportunités inégales de rencontrer un conseil
Des notaires au service de la propriété du jeune marié
Un PDG bien entouré
Des arrangements patrimoniaux à l'ombre du droit
De « bons clients » qui ressemblent à leur notaire
Des cabinets généralistes, un traitement différencié de la clientèle
En région parisienne : un marché segmenté
Des outils juridiques différenciés selon le capital économique et culturel
Les usages sociaux différenciés du droit international privé
4. Des comptabilités sexistes sous couvert d'un droit égalitaire
Un droit égalitaire : histoire d'une conquête récente
Des comptabilités inversées
Des évaluations et des inventaires à l'ombre du marché
Les biens structurants pour les uns, des compensations pour les autres
Quand une entreprise est au centre de la succession
Des notaires attachés au principe de l'égalité, mais…
Une vision masculine du « bon héritier »
La veuve ou l'envers du « bon héritier »
La comptabilité inversée des divorces
Le logement pour solde de tout compte
5. Une paix des familles à l'ombre du fisc et aux dépens des femmes
Un benjamin récalcitrant
La fiscalité des donations et successions
Des intérêts fiscaux divergents
Récolter et minimiser l'impôt : le paradoxe des notaires
Face au fisc, un principe de confidentialité à géométrie socialement variable
Contre le fisc, toutes et tous d'accord ?
Des réflexes d'optimisation fiscale au bénéfice de la richesse des hommes
Un impensé sexiste : la fiscalisation des pensions alimentaires
Des paradis fiscaux au travail au noir : la production de l'ignorance du fisc et des femmes
6. Une justice pour compenser les inégalités de richesse ?
Des compensations réservées aux couples mariés
Un dispositif de compensation affaibli et réservé aux riches
Au commencement était la richesse disponible de l'époux
Primat de la richesse de l'époux versus non-reconnaissance du travail de l'épouse
Le travail domestique : un travail gratuit pour convenance personnelle ?
« Il a beaucoup de sous, le monsieur. D'ailleurs, je pense que c'était ce qui l'intéressait, elle ! »
Des magistrates réticentes à la fixation d'une prestation compensatoire
Le champ de vision limité des juges sur les arrangements patrimoniaux
Attribution du domicile conjugal, tempo de la liquidation et rapports de pouvoir
Conserver le domicile conjugal : une partie d'échecs inégalitaire
7. Esclave entre tous est l'ex-femme du prolétaire
La pauvreté des familles monoparentales
La mendiante et le bon prince
Une pension alimentaire adaptée aux revenus du père
Des pères qui travaillent, des mères disponibles
Un barème qui ne tient pas compte des sacrifices des mères
Quand des pères ne paient pas leur pension alimentaire
Recouvrer les pensions alimentaires impayées : une nouvelle mission pour la CAF ?
Le contrôle du budget et de la sexualité des femmes

En conclusion, Céline Bessière et Sibylle Gollac reviennent, entre autres, sur l'accroissement des inégalités de richesse, le rapport différencié des familles au droit, « les modalités socialement situées de confrontation avec le droit de la famille et de la propriété produisent des différences dans la maîtrise de l'officialisation des patrimoines », la distribution du patrimoine entre les membres des familles, les unes et les autres « ne détiennent pas le même pouvoir sur ce qu'ils et elles possèdent », la nécessité d'une sociologie féministe de la famille, la contestation des perspectives androcentrées des connaissances, le travail réflexif et la soi-disant neutralité, la violence économique faite aux femmes et aux enfants, les impayés de pensions alimentaires, les stratégies familiales de reproduction, l'occultation des transmissions économiques « sonnantes et trébuchantes », les rapports de domination à l'intérieur des familles, les orientations scolaires genrées, les rapports différenciés et sexués au travail, les fils porteurs privilégiés du statut social, l'appauvrissent des femmes lors des ruptures conjugales, le droit formellement égalitaire et sa légitimation de l'inégalité, la comptabilité officielle et les comptabilités inversées, l'invisibilité de la valeur du travail domestique, les processus de conservation et de transmission des richesses, « on ne pourra abolir la société de classes sans renverser l'ordre du genre »…

Si certaines formules employées me semblent discutables, les analyses des autrices concurrent à expliquer la construction et la reproduction des inégalités sexuées, le rôle de l'institution familiale dans la subordination des femmes, les fonctionnement sociaux au détriment des femmes, le genre du capital

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Lien : https://entreleslignesentrel..
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