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Critique de Cannetille


Ils sont une dizaine d'inconnus, que les hasards de la vie ont réunis dans la même voiture du train de nuit Paris-Briançon. le temps de traverser la France endormie, le huis clos crée quelques proximités, et les conversations prennent d'autant plus facilement un tour personnel qu'elles n'auront pas de lendemain. Se révèlent ainsi brièvement différentes trajectoires de vie, chacune marquée par les maux ordinaires de notre époque. Personne ne se doute alors que certaines d'entre elles vont bientôt s'interrompre tragiquement, avant même d'arriver à destination...


Hasard ou fatalité, il suffit de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment pour que le destin bascule. Alors quand se produit une catastrophe, l'on ne peut songer qu'avec un certain trouble à l'enchaînement de circonstances qui a mené les acteurs, parfois tout à fait incidemment, sur le théâtre de leur drame. L'auteur nous ayant prévenu d'entrée de jeu que la mort est montée à bord de ce train, c'est donc tout à la fois suspendu au développement du récit et étreint par anticipation d'un sentiment d'impuissance désolée, que l'on fait connaissance avec une poignée d'inconnus ordinaires, des gens comme vous et moi emportés sur le fleuve banalement si peu tranquille de leur existence. Entre préoccupations diverses, notamment familiales et professionnelles, mille violences, petites et grandes, viennent perturber le cours de ces vies, empoisonnant ce qu'il conviendrait pourtant d'en apprécier chaque minute, tant le temps nous est compté et tant tout cela, au final, ne tient qu'à un fil.


Parmi ces destins bientôt brisés, il en est un qui va encore plus que les autres provoquer notre émotion, en tout cas qui semble à ce point tourmenter Philippe Besson qu'il resurgit ça et là dans son oeuvre, comme dans son récit autobiographique Arrête avec tes mensonges. Au-delà de la catastrophe et des réflexions désabusées qu'elle suscite en passant chez l'auteur, sur l'indécence d'une époque où tout est spectacle et où rumeurs et accusations se propagent plus vite que la lumière, le vrai coeur du drame est ce qui révolte le plus l'écrivain : la peur du rejet et le refus de soi-même qui empêchent encore tant d'homosexuels à assumer leur identité, et qui les enferment dans une existence intolérablement douloureuse. Face à l'implacable brièveté et aux inéluctables cruautés de la vie, quel plus grand gâchis que de s'empêcher de la vivre en la sacrifiant aux apparences et aux conventions, de la subir en se contraignant à en rester à jamais à la marge ?


Avec la justesse et la sobriété qui lui sont coutumières, Philippe Besson réussit dès les premières phrases à suspendre le lecteur à son récit, l'embarquant, à l'occasion du dramatique télescopage de quelques vies ordinaires, dans un émouvant plaidoyer pour le droit à être soi-même : la vie est bien trop fragile et bien trop fugitive pour, en plus, se la laisser voler !

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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