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Critique de perrinalb


Comme l'indique son sous-titre, "Une leçon de Vichy" est d'abord "Une histoire personnelle". Celle de l'auteur, Pierre Birnbaum, né à Lourdes le 19 juillet 1940, quelques jours après l'effondrement de la Troisième République et l'avènement du régime de Vichy, dirigé par le maréchal Pétain.
Pourtant, précise-t-il en introduction, Pierre Birnbaum se défie de "l'ego-histoire" qui l' "irrite souvent chez tant de collègues avec ses risques d'autocélébration, de psychologisme et de narcissisme" (p. 10).
"Une leçon de Vichy" ne relève pas de l'autobiographie, mais de la micro-histoire et de l'analyse sociologique. A travers le parcours de sa propre famille, prise dans les rets de l'occupant allemand et du régime de Vichy , Pierre Birnbaum interroge sa propre théorie de "l'Etat fort", "universaliste", "à la française".
Car c'est bien l'administration française, et en particulier la Préfecture des Hautes-Pyrénées, qui s'est chargée de recenser, de persécuter et de traquer la famille Birnbaum, comme l'attestent les nombreux documents d'archives cités et reproduits dans l'ouvrage.
Le 9 septembre 1943, par exemple, le nom de Jacob Birnbaum (le père de l'auteur) figure en toutes lettres sur une liste des "étrangers devant être conduits au camp de Noé et qui n'ont pu être arrêtés" (p. 54). La famille est en fuite, comme le déplore un inspecteur du Commissariat général aux questions juives dans un rapport en date du 17 décembre, qui se termine par cette phrase glaçante : "L'enquête continue afin de retrouver le Juif Birnbaum et sa famille" (p. 55).
Pierre Birnbaum et sa soeur Yvonne, à peine plus âgée que lui, sont confiés à un couple de paysans installé dans le village d'Omex, au fond d'une vallée pyrénéenne. C'est à eux qu'ils devront leur survie.
De retour à Paris à la Libération, la famille reprend progressivement une vie "normale". Pierre est un élève brillant. Il entre à Sciences Po et devient professeur de sociologie politique à la Sorbonne. Ses travaux portent sur l'Etat, les élites et les "fous de la République", ces "Juifs d'Etat" qui intégrèrent la haute fonction publique et la vie politique sous la IIIe République.
Pendant plusieurs décennies, il écrit sur ce sujet sans jamais se confronter à Vichy, à "l'Etat français", allant jusqu'à développer, de son propre aveu, une forme de "schizophrénie" à l'égard d'une histoire qui, pourtant, le concerne personnellement (p. 110). Il n'ouvre pas, par exemple, l'ouvrage fondateur de Michael Marrus et Robert Paxton "Vichy et les Juifs" lors de sa publication en France, en 1981.
Car le régime de Vichy, est-ce encore l'Etat ? Non, répond-il dans la seconde partie de l'ouvrage, car "par-delà le chamboulement constitutionnel et les votes parlementaires douteux, l'Etat perd tout à la fois son institutionnalisation et sa différenciation d'avec les idéologiques politiques véhiculées par l'extrême-droite" (p. 196).
Ce constat n'empêche pas Pierre Birnbaum de consacrer de longs développement au ralliement de la haute fonction publique au régime de Vichy et notamment à "l'osmose" (p. 135) qui existe entre le Conseil d'Etat et l'Etat français, laquelle se traduit, dès 1940, par une série de décisions stupéfiantes sur l'exclusion des Juifs de l'appareil d'Etat.
Comment d'éminents juristes, ayant servi pendant des années les institutions républicaines, ont-ils pu "délaisser la dimension morale des distinctions entre Juifs et non-Juifs pour s'en tenir à une logique étroitement positiviste ?" (p. 132).
Plus loin, Pierre Birnbaum revient sur "la symbiose entre le Commissariat aux Questions Juives et l'administration préfectorale" (p. 143) et l'application vigoureuse des textes antisémite par le Préfet des Hautes Pyrénées. Pourtant la mise en place du CGQJ en 1941 "illustre (...) cette création d'institutions ad hoc, externes à l'Etat qui témoignent de son démantèlement, de sa perte de centralité" (p. 150). Devenu un "véritable ministère", le CGQJ emploie à la fois des fonctionnaires et "des militants de l'antisémitisme radical recrutés au sein de groupes d'extrême-droite" (p. 151).
Un autre chapitre est consacré à l'épuration et à ses failles, puisque l'immense majorité des fonctionnaires ayant participé à la persécution et à la traque des Juifs sous l'occupation allemande, à de rares exceptions près, a poursuivi sa carrière après la Libération . Illustration de cette inexplicable clémence : "le préfet le Gentil, dans les Hautes-Pyrénées, n'est pas sanctionné" (p. 159).
En conclusion, écrit Pierre Birnbaum, "ce n'est pas l'Etat qui trahit les Juifs, c'est un pouvoir de fait devenu légal sinon légitime, auquel obéissent pourtant les hauts fonctionnaires qui, servilement, lui prêtent serment en renonçant à leur libre arbitre".
"Qui pourra deviner les raisons du ralliement des hauts fonctionnaires et de l'appareil d'Etat républicain à cet Etat français qui en est la négation? Carriérisme, lâcheté, peur de perdre son emploi, crainte de l'occupant, indifférence ? (p. 228)".
La question reste ouverte.
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