« Enfin la biographie que ce géant méritait »
Robert Paxton
S'appuyant sur une très large masse d'archives et de mémoires, Julian Jackson explore toutes les dimensions du mystère De Gaulle, sans chercher à lui donner une excessive cohérence. Personne n'avait décrit ses paradoxes et ses ambiguïtés, son talent politique et sa passion pour la tactique, son pragmatisme et son sens du possible, avec autant d'acuité et d'esprit. Des citations abondantes, éblouissantes d'intelligence, de drôlerie, de méchanceté parfois, restituent la parole de De Gaulle mais aussi les commentaires de Churchill et de tous ceux qui ont appris à le connaître, à se méfier de lui ou à s'exaspérer de son caractère vindicatif, de son ingratitude ou de ses provocations
Aucun détail inutile ici et aucun des défauts de ces biographies-fleuves où l'on se perd, mais une narration toujours tendue, attachée aux situations politiques, intellectuelles, sociales et aux configurations géopolitiques qui éclairent une action et son moment.
Julian Jackson relit cette existence politique hors norme et son rapport à la France à la lumière des questions du passé, qu'il restitue de manière extraordinairement vivace, et de celles qui nous occupent aujourd'hui et notamment l'histoire coloniale et l'Europe, la place de la France dans le monde, mais aussi évidemment les institutions de la Ve République. En ce sens, c'est une biographie pour notre temps.
C'est aussi une biographie à distance, par un observateur décalé qui mieux qu'aucun autre fait ressortir le caractère extravagant d'un personnage singulier à tout point de vue, extraordinairement romanesque dans ses audaces comme dans ses parts d'ombre, et dont l'héritage ne cesse de hanter la mémoire des Français.
Spécialiste de l'histoire de la France au XXe siècle, Julian Jackson est professeur d'Histoire à Queen Mary, University of London. Sur toutes les listes des meilleurs livres de l'année en Grande-Bretagne, sa biographie de De Gaulle a été couronnée du très prestigieux Duff Cooper Prize.
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En ville, les tickets de rationnement ne sont pas toujours honorés, loin de là: la production baisse, les transports se raréfient, les paysans stockent et 'loccupant réquisitionne. Alfred Fabre-Luce déclare que la vraie voix de la France en 1942 est la protestation véhémente de l'estomac.
A propos de Pétain..."Chaque jour, un poignard sur la gorge, j'ai lutté contre les exigences de l'ennemi". Ce n'était pas tant un mensonge qu'une demi-vérité. Elle obscurcit tout ce qu'a fait Vichy sans y être obligé par l'Allemagne et tout ce que Vichy a supplié l'Allemagne de faire.

Il est difficile de mesurer la popularité d'un régime autoritaire. Tout d'abord, on ne dispose pas des moyens qui reflètent habituellement l'opinion publique : une presse à peu près libre, des élections, des débats parlementaires, une certaine tolérance envers la critique. En outre, les dirigeants faussent les éléments d'évaluation qu'on possède ; pour eux, le silence équivaut au soutien, le consentement à l'enthousiasme, la participation à la loyauté. Dans le cas de Vichy, il est d'autant plus malaisé de se faire une idée de l'adhésion au régime que la Libération fut une explosion de joie quasi générale et que les Français oublièrent — consciemment ou inconsciemment — avoir eu un état d'esprit tout à fait différent, proche du désespoir, en 1941 ou 1942.
Si l'on traçait un graphique grossier de l'opinion publique entre 1940 et 1944, on verrait que la quasi-totalité de la population était pour Pétain en juin 1940 et pour de Gaulle en août 1944, le point d'intersection de ces deux courbes, l'une décroissante, l'autre ascendante, se situant après l'Occupation de la zone libre en novembre 1942.
Nous voici venus à la plus grande honte du régime de Vichy: l'antisémitisme. il est indsipensable de montrer que les premières mesures ayant frappé les israélites sont bien le fait du gouvernement français, car dans nul autre domaine on a autant insisté sur les pressions de l'Allemagne et la passivité de la France.
Il est exact qu'à partir de 1942, le Reich a imposé son programme de déportation et que Vichy s'est alors fait tirer l'oreille....Bien avant que l'Allemagne fasse la moindre pression, le gouvernement de Vichy institue avec le numérus clausus un système d'exclusion. La loi du 3 octobre 1940 interdit aux israélites d'appartenir à des organismes élus, d'occuper des postes de responsabilité dans la fonction publiques, la magistrature et l'armée, et d'exercer une activité ayant une influence sur la vie culturelle ( enseignants...)
En mai 1942, Bousquet disait à Heydrich, à propos de l'exécution des otages, qu'il fallait se garder de creuser " un fossé de sang" entre la France et l'Allemagne. en 1944, un "fossé de sang" sang sépare les deux France et c'est Vichy qui l'a voulu en identifiant la Résistance a désordre.
Chacun s’explique à sa manière la pourriture. Certains s’arrêtent à des signes superficiels : le jazz, l’alcool, la vie nocturne de Paris, les jupes courtes, la dépravation de la jeunesse, le contrôle des naissances. On accuse même le plaisir d’avoir amolli la nation : « esprit de facilité », « culte du bien-être ». Des intellectuels ont tourné en dérision des institutions sacrées : Léon Blum, qui a ridiculisé le mariage ans une œuvre de jeunesse, Jean Cocteau dont les Parents terribles ont miné l’autorité du père. Et surtout, Gide a autorisé chacun à assouvir ses désirs avec ses « actes gratuits ». P 65
En 1940, n'importe quel chef victorieux de la Première Guerre mondiale aurait été un baume sur l'orgueil blessé. Pétain ne pouvait tomber à un meilleur moment. C'était un véritable héros national, sans lien visible avec la triste politique des années 30. Trop âgé pour n'avoir pas désarmé les animosités provoquées par sa carrière militaire, trop taciturne pour s'en être attiré de nouvelles. On voyait dans la part qu'il avait prise à la politique depuis sa retraite — ministre de la Guerre du gouvernement Doumergue après les émeutes de février 1934 et premier ambassadeur auprès de Franco en 1939 — le sens du devoir d'un vieux soldat se mettant au service de son pays dans des circonstances critiques. Pour le reste, il parlait peu en public des problèmes nationaux, n'allant pas au-delà du dédain traditionnel de l'officier pour la politique. C'était une page vierge, prête à recevoir l'image que chaque Français se faisait du sauveur.
Vichy n'est pas un petit pansement; c'est de la grande chirurgie. La France est le seul des pays occidentaux occupés à ne pas se contenter de s'administrer, elle fait une révolution intérieure de ses institutions et de ses valeurs morales.
il est difficile aujourd'hui de se rappeler avec quelle fièvre on échaffauda des projets. D'aucuns le firent avec la joie qu'apporte la vengeance: la République honnie, la "gueuse" était morte. Cependant, les antirépublicains de toujours ne furent pas les seuls à s'épanouir; d'autres, et ils furent nombreux, furent heureux d'être délivrés de procédures sclérosées et de l'immobilisme politique.

L'accession au pouvoir de Mussolini comme de Hitler n'était pas inévitable. L'examen attentif de la manière dont les dirigeants fascistes sont devenus l'un et l'autre chefs de gouvernement est un cas d'école en matière d'antidéterminisme. On peut tout à fait admettre que la légèreté des traditions libérales, l'industrialisation tardive, l'existence des élites pré-démocratiques, la force des poussées révolutionnaires, un mouvement de révolte contre l'humiliation nationale ont contribué à donner de l'ampleur à la crise et à réduire l'éventail des choix réalistes, en Allemagne et en Italie. Mais les dirigeants conservateurs rejetèrent les autres possibilités, comme gouverner en coalition avec la gauche modérée, par exemple, ou sous les pouvoirs d'exception du roi ou du président. Ils ont au contraire choisi les fascistes. Quant à eux, les fascistes ont su procéder à la "normalisation" indispensable pour accéder au partage du pouvoir.
Il n'y avait aucune nécessité pour que les choses prissent cette tournure.