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Critique de kielosa


Ce recueil de 22 nouvelles porte comme titre une phrase "Deux Juifs voyagent dans un train", qui, avant Hitler et l'holocauste, faisait rire les Juifs d'Europe de l'est, rien qu'en commençant une histoire par cette phrase. Je ne crois pas qu'elle provoque de nos jours la même hilarité. Les convois de la mort, à bord de trains à bestioles, pour les camps de la mort nazis, représentent naturellement un souvenir trop horrible pour ce peuple.

Ces nouvelles sont marquées par l'humour, après tout Adam Biro est l'auteur du "Dictionnaire amoureux de l'humour juif", paru l'année dernière, mais d'un humour un peu particulier : amère, mélancolique, cynique et grinçant. Un humour qui reflète évidemment le sort souvent dramatique des Juifs de l'est, son peuple, car il est né, en 1941, à Budapest, Hongrie et il est Juif. Un "Yom-Kippur-yid" comme il dit lui-même, ou un Juif qui ne se rend à la synagogue qu'une seule fois par an, le jour du Grand Pardon ou Yom Kippour, le jour le plus saint du calendrier juif, qui a lieu chaque année en septembre-octobre.

Adam Biro s'est sauvé de son pays natal au moment de l'insurrection de Budapest contre l'URSS, en 1956, il avait tout juste 15 ans. En Occident, il s'est construit une solide réputation comme éditeur de livres d'art. Au début à l'office du Livre à Fribourg en Suisse et puis chez Duculot en Belgique, Filipacchi et Flammarion en France et Mondadori en Italie, avant de créer sa propre maison d'édition d'oeuvres d'art, dont il a laissé la gestion journalière à son ami Cohen, tout en restant conseiller chez "Biro Éditeur". C'est ainsi qu'il a contribué à la publication de "Éloge de l'individu" un essai sur la peinture flamande du critique littéraire et sémiologue roumain, Tzvetan Todorov (1939-2017), qui est superbe. Un autre essai dans la même collection a trait à la peinture hollandaise. le titre "Éloge de l'individu" ne devrait pas surprendre venant d'individus, nés sous le nazisme et ayant connu, dans leur prime enfance, le bonheur de vivre sous le communisme du type stalinien !

C'est à la mort de son père que notre Adam a trouvé dans les papiers de celui-ci l'histoire de sa famille qui remonte (seulement) à la naissance, en 1806, de son aïeul Abrahám Finkelstein, un pauvre journalier qui labourait la terre d'autrui et dont il est, grâce aux nazis, l'unique descendant. Je n'ai pas réussi à découvrir quand exactement le changement de nom de famille de Finkelstein en Biro est intervenu. Peu importe d'ailleurs, car il a un petit-fils qui porte le prénom merveilleux d'Ulysse. Une occasion pour le fier grand-père d'écrire, en 2002, "Les ancêtres d'Ulysse". Bien que cet Ulysse ne s'appelle ni Biro, ni Finkelstein, mais a hérité le nom de famille d'un de ses 2 beau-fils.

Un mot sur son épouse, Karin Biro-Thierbach, la grande spécialiste de la philosophe Hannah Arendt, de qui j'ai chroniqué tout récemment l'oeuvre "À travers le mur". Ensemble ils ont publié "Toi et Moi, je t'accompagne ", en 2007, un récit de leur voyage à Kaliningrad, à la recherche des ancêtres de Karin Biro-Thierbach. Je signale, en passant, que cette enclave russe a été aux informations dans la presse dernièrement à cause de la coupe du monde de football, puisque certains matches ont eu lieu à l'Arena Baltika, le stade sportif de Kaliningrad, avant, du temps de son plus célèbre habitant, Emmanuel Kant, et Hannah Arendt, appelée Königsberg, l'ancienne capitale de la Prusse-Orientale.

Résumer des nouvelles n'a, bien entendu, pas beaucoup de sens. C'est la raison pour laquelle j'ai préféré me concentrer sur leur auteur, d'autant plus que son origine et sa famille sont importantes pour comprendre les finesses de la plupart de ces histoires. Comme la majorité des recueils de nouvelles, la qualité de ces nouvelles, considérées individuellement, est inégale. Ce recueil ne fait pas exception à la règle. Cependant, j'estime qu'il vaut la peine d'être lu, non seulement pour l'humour - par exemple les allusions marrantes aux légendaires Rothschild - mais aussi (et peut-être plus encore) pour l'évocation du monde très particulier des Juifs de l'est d'avant-guerre, aujourd'hui disparu, hélas, à jamais. Dans ce sens, cet opuscule de tout justes 220 pages, contribue également à une meilleure compréhension de l'oeuvre littéraire et journalistique d'un Joseph Roth, pour n'en citer qu'un seul.

Mais rassurez-vous les personnages qui "voyagent en train", loin de leur shtetl (bled), les "shlemiels" (maladroits et malchanceux), les "shnorrer" (mendiants et parasites ) et "luftmensch" (quelqu'un de peu pratique, qui vit de l'air et de la bonté des autres) ont de quoi vous faire rire. Des personnes qui nous sont familières des romans du Nobel Isaac Bashevis Singer, son frère Israël Joshua, sans oublier leur soeur, la méconnue Esther Kreitman, et pour lesquels les Juifs en Yiddish ont trouvé de si joli noms !
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