Elle ne connaissait aucun homosexuel . Elle ne connaît d'ailleurs toujours aucun homosexuel bien que son cousin germain Björne vive avec August depuis vingt-cinq ans .
Maintenant que j'ai perdu mes deux parents , je suis forcée d'accepter que je suis adulte .
- Mets tes pieds ici . Ne les pose surtout pas par terre avant que la moto soit à l'arrêt complet et que je te dise de descendre . Serre tes jambes contre moi pour ne pas partir en avant quand je freinerai . Sinon tu risquerais de me déséquilibrer . Mets tes mains autour de ma taille pour ne pas partir en arrière quand nous prendrons de la vitesse . Sinon tu risquerais de tomber . Dans les virages , tu te pencheras du même côté que la moto . C'est important pour l'équilibre . N'essaie pas de résister en te penchant du côté opposé . Et surtout , ne te contracte pas .
Les catastrophes finissent toujours par arriver . La question c'est de savoir si tu as envie de t'amuser avant ou pas et qui tu as envie d'avoir à coté de toi au moment où la catastrophe se produit .
Mon chemin vers la folie commence ici. Je suis assise par terre dans l’entrée et je parle avec ma porte.
Il y a quelques secondes, elle s’est refermée dans un claque- ment. Dix-neuf ans envolés dans un bruit sourd. Puis le pling impitoyable de l’ascenseur lorsqu’il arrive à notre étage et le racle- ment de la valise à roulettes sur le sol.
— Merde, je dis en entendant l’ascenseur redescendre.
Ma porte n’a aucune réaction.
Sans réflechir, je me lève et je me précipite sur le balcon.
— Attends ! je crie en me penchant au-dessus de la balustrade.
Ne me laisse pas ! J’ai dit quelque chose de mal ? Je peux changer, je te le jure ! Donne-moi une dernière chance !
Mon hurlement fait sursauter un couple de passants qui lève la tête vers moi. Une partie de moi se dit que mon comportement n’est pas très convenable. Mais je m’en fous. La personne à la valise s’est arrêtée elle aussi. Elle se retourne.
— Haha, maman, dit Emma, ma lle, le soleil de ma vie, le centre de mon existence, qui en ce moment est en train de me quitter.
Je suppose que ce qu'un enfant n'a jamais eu ne peut pas lui manquer. Mais moi, je savais et ça suffisait pour que je sois rongée par la culpabilité. Ce qu'Emma n'avait jamais eu, c'étaient des habits neufs. A part quelques rares vêtements, j'avais tout acheté d'occasion à des associations. Un jardin. Une mère qui puisse la conduire aux entraînements. Un congélateur rempli de junk-food. Un frigo avec quatre sortes de confitures. Et un garde-manger dans lequel il y a toujours du pain blanc. Le genre de cochonneries dont les ados raffolent. Aujourd'hui les gens évitent ces aliments, mais à l'époque c'était le comble du luxe d'avoir les moyens d'acheter des produits prêts à consommer et différentes sortes de bêtises à mettre sur du pain.
Mes meilleurs moments au travail sont les heures où j'oublie où je suis et où tout devient automatique. La vie serait probablement plus simple si on pouvait débrancher son cerveau quand on veut.
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Si la défense militaire suédoise était dirigée par des parents , elle n'aurait pas eu besoin d'excuses comme "On est désolés mais ça s'est passé en dehors des heures de bureau " quand les avions russes sont entrés dans l'espace aérien suédois . Elle se serait réveillée en sursaut au beau milieu de la nuit en se disant : " Il y a un problème " et elle aurait aussitôt réagi .
La moto-école est assez jolie . Les murs sont jaunes et les meubles noirs . Tout respire la virilité sécurisante .
Je balaie la pièce du regard et je réalise pour la première fois de ma vie ce que les femmes au foyer savent depuis l'arrivée de la machine à laver et des plats tout prêts : l'existence contient un nombre effroyable d'heures , et il est possible que ce soit plus sécurisant de les consacrer au ménage qu'aux enfants qui grandissent et qui , un beau jour quittent la maison.
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