Mais quelles étaient donc ces pressantes affaires qui l'appelaient si impérieusement à Florence? Raphaël, sans aucun doute, était impatient de voir le fameux carton de la Guerre de Pise que Michel-Ange venait de terminer après sa fuite de Rome, dans les premiers mois de 1506, et le carton non moins fameux que Léonard de Vinci devait exposer le même jour au jugement des Florentins. Quelle impression durent faire sur l'élève encore docile du Pérugin ces dessins prodigieux, dont la science paraissait hardie et n'était que profonde : ici, les figures terribles et palpitantes de Léonard et ses chevaux héroïques; là, les soldats de Michel-Ange, tiers comme des héros, élégants comme des dieux descendus de l'Olympe!
Des connaisseurs, qui ont regardé de très-près aux qualités matérielles de l'art, à la pratique du pinceau, MM. Crowe et Cavalcaselle, ont fait, eux aussi, sur ce point, des observations qui confirment les nôtres, en leur donnant du poids : « Les peintres ombriens, disent-ils, sortirent de l'École des miniaturistes fondée par Oderisio et Franco Bolognese. Leur coloris est clair, léger, gai, transparent, et il plaît par l'éclat et par la délicatesse de ses tons. Leur exécution a la netteté, la pureté nécessaires à l'enluminure. Leurs ornements capricieux,mais de bon goût, et la précision de leurs détails n'excluent pas une certaine élégance et même une certaine largeur dans les draperies. Mais la grâce plutôt que la force, la tendresse plutôt que la majesté, furent leurs qualités dominantes et leurs défauts.
Ce nouveau volume introduisait une classification nouvelle dans l'histoire de la peinture, et il était consacré en partie à l'exaltation d'une École qui jusqu'alors n'avait pas eu de nom officiel, l'École ombrienne, représentée par Gentile da Fabriano, Piero della Francesca, Fra Carnovale, Giovanni Santi, père de Raphaël, et le Pérugin. L'autre partie du livre était composée à la gloire d'une École dont le nom était emprunté cette fois d'une sorte de géographie morale, et que M. Rio appelait, par excellence, l'École mystique, école si saintement représentée par Lorenzo le camaldule, par le bienheureux Fra Angelico da Fiesole et par Benozzo Gozzoli. Dans ce système les chefs d'école ne sont plus des peintres mais des moines.
C'est un nom qui fait époque dans l'histoire de l'art que celui de Piero della Francesca. Trente ans environ avant Léonard de Vinci et le Pérugin, il introduisit dans la peinture la géométrie, la perspective, l'harmonie des proportions et des nombres, et il les employa, non pas seulement comme un praticien, mais comme un savant. Grâce aux études qu'il fit comme géomètre, il devint un dessinateur au trait sûr, précis et ferme, capable de résoudre les plus difficiles raccourcis, et il mit son savoir au service d'un esprit curieux, pénétrant et original.
Pendant les huit années que dura son apprentissage, Raphaël mit la main il quelques-uns des ouvrages commandés à son maître, notamment à une Résurrection du Christ, qui est à cette heure au Vatican et qu'il fit même presque tout entière sous le nom de Pérugin, car il dessina les études des figures qui représentent les deux gardiens, l'un endormi, l'autre en fuite, et ces études se conservent dans la collection d'Oxford. Un des gardiens, par parenthèse, est le portrait de Pérugin, l'autre celui de Raphaël.