La célèbre esquisse de Nozoreth est restée près de vingt ans dans l'atelier de Gros, tournée contre le mur, comme une toile dont on ne se sert plus. Elle était verte, moisie, méconnaissable, lorqu'un amateur, qui visitait l'atelier de Gros, l'ayant retournée par hasard, fut frappé de ce qui brillait sous la moisissure et en offrit deux mille francs. Gros accepta, et l'amateur ayant ensuite remis la toile en vente, elle monta jusqu'à dix-sept mille francs. Géricault paya mille francs le droit d'avoir l'original à sa disposition pour en tirer copie. Elle est aujourd'hui il Nantes dans le cabinet de M. Urvoy de Saint-Bedan.
Exposé à Rome, le premier ouvrage de Girodet y excita une admiration universelle. Il toucha le public par la grâce de l'invention, et plut aux artistes par le choix des formes et l'effet pittoresque de l'ensemble. Le peintre avait su, disait-on, découvrir les liens qui unissent la poésie à la peinture, sans dépasser les limites qui les séparent. Mais de tous les éloges qui lui furent donnés, celui d'avoir créé une oeuvre originale le toucha particulièrement. « Ce qui m'a surtout fait plaisir, écrivait-il à son tuteur, c'est qu'il n'y a eu qu'une voix pour dire que je ne ressemblais en rien à M. David. »
Les qualités l'emportent toutefois de beaucoup sur les défauts.dans les portraits que Gérard peignit à cette époque de la maturité de son talent, où il cherchait moins à obtenir des applaudissements qu'à se contenter lui-même. La foule allait venir dans son atelier; mais il y était encore solitaire lorsqu'il travaillait au tableau célèbre de Psyché recevant le premier baiser de l'Amour. Grâce à la tranquillité que lui avaient procurée la générosité d'Isabey et le succès du Bélisaire, il put composer et achever cette oeuvre à loisir.
Lorsque Gérard, au comble de la réputation et des honneurs, eut fait les portraits de presque tous les souverains de l'Europe, on dit de lui qu'il était le peintre des rois, et ses amis ne crurent pas trop le flatter en l'appelant le roi des peintres. Il semblait, en effet, quand David en exil dut renoncer à cette souveraineté si longtemps sans partage, que Gérard, entre tous ses élèves, fut celui qui lui succéderait le plus tacitement; mais Gérard n'eut jamais sur les artistes l'autorité de David.