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Citations sur Les morts commandent (4)

Catalina répondait aux questions de son compagnon avec la timidité d’une demoiselle chrétienne, pieusement élevée, qui devine le but caché sous la galanterie banale du langage. Cet homme venait pour elle, et son père était le premier à souscrire à ses désirs. Affaire conclue ! Le prétendant était un Febrer ; elle allait lui répondre : oui ! Elle se rappelait ses années de pensionnat, où elle était entourée de fillettes moins riches qu’elle, qui profitaient de toutes les occasions pour la taquiner, poussées par la jalousie et par la haine que leur avaient inculquées leurs parents. Elle était la chueta ! Elle n’avait d’amies que parmi les petites filles de sa race, et encore celles-ci, désireuses de se mettre bien avec l’ennemi, se trahissaient mutuellement, sans énergie ni esprit de solidarité pour la défense commune. À l’heure de la sortie, les chuetas partaient les premières, sur l’invitation des religieuses, pour éviter les insultes et les attaques des autres élèves, dans la rue. Même les bonnes qui accompagnaient les fillettes se battaient, adoptant les haines et les préjugés de leurs maîtres. Il en était de même dans les écoles de garçons : les chuetas sortaient d’abord pour éviter les coups de pierre ou de courroies des « vieux chrétiens ».
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Ce fut alors qu’une nuit, au sortir du cercle, à cette heure avancée où l’insomnie nerveuse fait voir la réalité avec une netteté singulière, un ami de Febrer lui suggéra une idée ; il lui conseilla d’épouser la fille de Benito Valls, le riche chueta (c’est le nom méprisant qu’on donne à Majorque aux descendants des Juifs convertis). Benito Valls aimait beaucoup Jaime. Souvent il était intervenu spontanément dans ses affaires, le sauvant de périls imminents, autant par sympathie pour sa personne que par respect pour son nom. Malade, il n’avait qu’une héritière, sa fille Catalina. Celle-ci avait voulu prendre le voile, quand elle était encore toute jeune ; mais avec sa vingtième année, il lui était venu un goût très vif pour le monde, et elle s’attendrissait sur les malheurs de Febrer, lorsqu’on en parlait devant elle.
Jaime recula d’abord devant cette proposition, aussi stupéfait que devait l’être Mado Antonia. Épouser une chueta !... Puis peu à peu ses répugnances se dissipèrent, à mesure que croissaient ses embarras d’argent... Pourquoi pas, après tout ? La fille de Valls était la plus riche héritière de l’île et les questions de race n’ont rien à faire avec l’argent.
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Jaime, surpris, prêta plus d’attention aux paroles de Pép. Celui-ci s’exprimait avec une certaine timidité, et s’embrouillait dans ses explications : « Les amandiers faisaient la principale richesse de Can Mallorquí. L’année précédente, la récolte avait été bonne, et cette année, elle promettait de n’être pas mauvaise. On vendait les amandes un bon prix aux patrons de barques, qui les transportaient à Palma et à Barcelone. Il avait planté d’amandiers presque toute sa propriété ; maintenant il songeait à défricher et à épierrer certaines terres appartenant à don Jaime, pour y faire pousser du blé, ce qu’il fallait pour sa famille, pas davantage.
Febrer ne cacha point son étonnement. Quelles pouvaient bien être ces terres-là ?... Il possédait donc encore quelque chose à Iviça ?...
Pép sourit. Ce n’étaient pas précisément des terres, mais il y avait un promontoire rocheux, avançant sur la mer, et l’on pouvait fort bien l’utiliser, du côté opposé, en construisant sur la pente des terrasses en étage, pour la culture. C’était au sommet de cette falaise que se trouvait la tour du Pirate. Le señor devait certainement se la rappeler... Une tour fortifiée, datant de l’époque des corsaires. Tout gamin, don Jaime y avait grimpé plus d’une fois, proférant des cris de guerre, et lançant à l’assaut une armée imaginaire.
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Jaime Febrer se leva à neuf heures du matin. Mado Antonia , qui l’avait vu naître, servante pleine de respect pour son illustre famille, se contentait d’aller et de venir depuis une heure dans la chambre, pour tâcher de l’éveiller. Jugeant insuffisante la lumière qui pénétrait par l’imposte d’une large fenêtre, elle ouvrit les vantaux de bois vermoulu où les vitres manquaient. Puis elle tira les rideaux de damas rouge, galonné d’or, qui, en forme de tente, enveloppaient le vaste lit, antique et majestueux, où avaient vu le jour, s’étaient reproduites et éteintes, plusieurs générations de Febrer.
La veille, en rentrant du cercle, Jaime avait instamment recommandé à Mado Antonia de le réveiller de bonne heure, car il était invité à déjeuner à Valldemosa. Allons, debout !
C’était une splendide matinée de printemps. Dans le jardin, les oiseaux pépiaient en chœur, sur les branches fleuries, balancées par brise, qui venait de la mer voisine, par-dessus le mur.
La domestique, voyant que monsieur s’était enfin décidé à quitter le lit, se dirigea vers la cuisine. Jaime Febrer se mit à circuler dans la pièce, devant la fenêtre ouverte, que partageait en deux parties une mince colonnette.
Il s’était endormi tard, inquiet et nerveux, en songeant à l’importance de la démarche qu’il allait entreprendre le lendemain matin. Pour secouer la torpeur que laisse un sommeil trop court, il rechercha avidement la réconfortante caresse de l’eau froide. En se lavant dans sa pauvre petite cuvette d’étudiant, Febrer jeta sur elle un regard plein de tristesse. Quelle misère ! Il manquait des commodités les plus rudimentaires, dans cette demeure seigneuriale. La pauvreté se manifestait à chaque pas dans ces salons, dont l’aspect rappelait à Jaime les splendides décors qu’il avait vus dans certains théâtres, au cours de ses voyages à travers l’Europe.

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