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Critique de Erik35


LORSQUE L'ECRITURE SE FAIT AUSSI SECRÈTE QUE LA COQUILLE...

Lorsque Christian Bobin loue la chambre 14 dans le petit hôtel donnant sur la célèbre abbatiale de Conques - cette merveilleuse petite cité médiévale blottie autour de son joyau de l'architecture religieuse - sait-il qu'il en résultera à ce point les mots du silence et du sacré ? Poète dans l'âme autant que celui des âmes, il est à parier qu'il l'espérait un peu, quoi qu'à telle distance de son Creusot rassurant et inspirant rien de moins certain. Mais il est tout autant à parier - l'immense Pascal n'est jamais loin, qui paria avec le divin - que cet échange du poète avec le geste de l'artiste se faisant pour l'heure vitrailliste - le grand artiste Pierre Soulage est à l'origine des vitraux qui éclairent d'ombre l'intérieur de l'abbaye - a particulièrement remué l'esprit fin de Christian Bobin, cette plume toute de douceur, de tendresse, d'élégance et de sensibilité humaine, plus que jamais poète.

Ces quelques jours à Conques se transmuent - à la manière des mirifiques formules d'un antique alchimiste cherchant la pierre philosophale, travaillant pour le grand oeuvre, hypothéquant ses certitudes de plomb pour les ors chimériques - en véritables recherches du soi le plus intime, de ce qui fait que l'on écrit, de la magie invraisemblable de cette lectrice aperçue à la devanture d'un triste lavomatic, de la force de cette foi millénaire - on peut parfaitement ne pas croire, ce qui est le cas de votre insigne chroniqueur, et se trouver touché, interpellé par cette force créatrice qui prend source dans la belle spiritualité de l'auteur de la nuit du coeur.

Ce texte, c'est aussi une recherche devenu tellement difficile - impossible ? - dans nos mondes affairés, pressés, bruyant - monstrueusement bruyants - de silence, de calme, de sérénité qui s'accomplit dans la pénombre de l'abbatiale, dans la noirceur sensible et régénératrice des quelques nuits d'hôtel passées sur place, dans le cheminement vers le lieu inconnu (c'est ce qu'il nous dit, en quelques mots très incisifs, lorsqu'il traverse Bordeaux, exact inverse de Conques). Ce silence, cette espèce d'absence au monde - celui de nos vies quotidiennes - se sent, se ressent à travers une parole devenue très épurée, que d'aucuns pourront trouver sèche après bien des volumes d'une poésie parfois un rien (trop) sucrée à mon goût - Bobin s'adonnant alors à ce que j'appelle, avec un peu de dépit teinté d'énervement, à des "bobinades", vous savez, ces bien jolies phrases toute d'enrobement, toute de suavité un peu facile, légèrement "new-age", qui ne choquent personne tant elle semble faites d'évidences vertueuses et absolues, mais qui lassent et ennuient à force de se répéter de titres en titres, raison pour laquelle j'avais cessé de le lire après un affligeant et sans aucun intérêt "La grande vie". Après l'avoir pourtant beaucoup lu et aimé -. Ici, presque rien de ces anciens travers. L'écriture s'est resserrée mais sans perdre de sa profondeur, bien au contraire. Elle invite sans cesse à reposer son livre, y promener la pensée, à goûter ce silence attentif et profond, méditatif - oui, on peut même l'ajouter : un silence religieux ! - d'un regard insondable sur le monde qui nous entoure et celui, plus difficile à atteindre sans doute, le nôtre, intérieur.

L'arpenteur impénitent et amateur d'architecture religieuse que votre humble critique est, à ses heures perdues, ne peut que se sentir comme chez lui - ou plus exactement, au sein ce chez-soi impossible à moins d'être profondément croyant, mais où l'on se sent pourtant tellement bien, rasséréné, reposé, et dispos aussi à la parole de l'autre, à la musique des sphères d'un Bach ou d'un motet grégorien s'il s'en joue un, juste le temps d'une visite, le temps de retrouver l'intime, la physique des pierres franches, la puissance solitaire d'un arc en plein cintre, la poésie d'une ogive courant vers le presque infini de sa clef de voûte, la majesté d'une nef qui a conquit les siècles sous ses arceaux de lumière jamais identique par la grâce sans cesse renouvelée de la lumière du jour, de "frère soleil" aurait confirmé le François d'Assise, et de la danse des nuages... le temps de ces quelques dizaines de pages, on se laisse aller au plus inattendu des vagabondages.

"Il y a quelqu'un qui me suit depuis toujours, qui s'appelle «moi» et qui me joue ces tours. C'est un homme quelconque. Je ne devrais pas le laisser écrire, même une dédicace. C'est tellement dur d'être hors du monde", nous confie Christian Bobin au détour d'un chapitre... Pourtant, cette écriture-là, lorsqu'elle sait se faire rare, lorsqu'elle cesse de se contempler dans le miroir de ses petites satisfactions vaines, indiciblement mais bien certainement, elle nous manquerait s'il elle ne s'était pas faite chair, par le sang de son encre, par la subtilité de ses doutes quant à ce qu'elle essaie d'être. Heureux de vous avoir retrouvé, toujours vous-même et pourtant revenu de vos errances passées. J'attends la suite avec grande impatience !
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