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Critique de Amakir


« Dans le donjon blanc vit l'amant du noir. »

Quoi de plus fort qu'un livre dont le titre est un prénom suivi d'une virgule, pour mieux rendre hommage à son ami centenaire ?
Christian Bobin écrit son roman comme s'il commençait une lettre.
C'est beau. Simplement beau.
Sa plume ondule comme un envol au souffle de son auteur.

« Il me reste quelques heures pour t'apporter la nuit du coeur. Tu passes dans ce livre comme au ciel les nuages que j'aime tant. »

La nuit du coeur a double sens, puisqu'il s'agit d'un ouvrage de l'auteur, dans lequel il a séjourné dans un hôtel donnant sur une abbaye où les vitraux sont signés Pierre Soulages.
En dehors de leur beauté, les textes de Bobin sont chargés de références. Il n'est cependant pas essentiel de bien les connaître pour apprécier la lecture. La preuve, je ne suis pas une puriste et j'ai pourtant passé un somptueux moment.

Hormis quelques citations saisies au hasard, Pierre, est le premier ouvrage que je lis de l'écrivain.

Comment le décrire ? Bobin se situe entre l'essai philosophique, la prose poétique et le journal touchant l'intime. Méditatif et rêveur...

« D'être seul fait devenir tout. » Vous avez quatre heures…

Qu'en est-il de son lien avec Pierre Soulages ?
Christian Bobin a du peintre la fièvre du vernissage. Il dévoile ses mots tels des fragments de lune, des pages gorgées d'étoiles. Il le dit lui-même « La grâce est dans les intervalles. »
Auteur contemplatif, son écriture s'apprécie comme une toile.
Pierre, ce sont plein de petits tableaux suspendus aux pages. Prenez vos billets d'entrée, l'exposition commence.

« Il m'est arrivé d'accrocher mon âme à des buissons. »

Pierre, pourrait se découvrir par la fin ou se déguster par échantillons. Ce livre a le désir de m'accompagner n'importe où, avec le plaisir de pouvoir être ouvert au hasard, pour en lire un court passage le temps d'un moment.
Pierre, n'est pas loin de me cueillir pour une séance de relaxation. J'adorerais entendre les textes de Christian Bobin repris en musique par nos meilleurs chanteurs et chanteuses francophones.

Inspirant, son style est sonore et visuel.

Pierre, c'est aussi l'appréciation de l'instant présent.

La virgule témoigne,
La virgule soulage,
La virgule aime,
Elle ondule et se balance la virgule,
Pierre, la virgule épouse la majuscule,
Noctambule, elle déambule...

La nuit, parlons-en… Christian Bobin souligne l'importance du noir. Ainsi la profondeur de la nuit est mise en lumière, tel un doux clair-obscur…

« La poésie est le noir du langage sur lequel passent les griffes de la lumière. »

Nous pouvons y voir des reflets de poussière dans le vent. Des étincelles d'étoiles.

« Un train m'attendait. Il avait passé la nuit dans une écurie de fer. Une lassitude l'empoussiérait. Les trottoirs écaillés, gris mouette, étaient signés Soulages. Je voudrais écrire un éloge de la poussière. »
« Le vent est la poussière de la lumière. »

La religion tient également un place importante, l'auteur rendant visite à Pierre Soulages le 24 décembre, en voyageant par train la nuit précédant l'anniversaire de son ami.

« Il y a une présence qui a traversé les enfers avant de nous atteindre pour nous combler en nous tuant. »

À plusieurs reprises, l'écrivain se confie en évoquant son père, continuant à vivre à travers son regard, pour marquer le contraste de la vie face à la mort. La lueur face à la pénombre.
Pierre Soulages ayant dépassé les cent ans, c'est aussi une façon d'aborder la fin avec sérénité. Oriflammes du deuil...

« Les yeux de mon père étaient la chambre du soleil. Je l'ai puissamment habitée. Ces yeux sont désormais les miens. Je vis de leur éternité. »
« Il y avait assez d'air entre les mots, assez de nuit sur la toile pour que quelqu'un se saisisse de sa propre vie inachevée. »

À trop chercher la voie lactée, Pierre Soulages finira par voler...

« Un geste me rassure dans cette vie, un seul, c'est appuyer ma main droite contre le tronc d'un arbre, où la faire glisser sur le crâne rasé d'un livre. Dans cette nuit conventionnellement sainte de Noël, inaperçu de tous, j'appuie ma main sur quelques outrenoirs. Ce geste est interdit dans les musées. C'est un blasphème. Son auteur mérite la peine de mort. Je ne respecte rien, Pierre. J'aime. »

Christian Bobin a versé pour vous quelques perles de nuit et de silence. Les silences de pierre.
Je lui laisse la conlusion.

« Tu te tais comme une forêt respire la nuit. »


Lu en août 2021
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