Les yeux rivés a la table, je faisais de mon mieux pour ne pas éclater en sanglots. Je me frottait vigoureusement la nuque et, en tirant pour libérer ma main, j'en arrachai un. La sensation de piqûre me fit sursauter, mais le choc et la surprise, l'espace d'un instant, m'ôtèrent l'envie de pleurer. Je portais de nouveau la main à ma nuque et arrachai un autre cheveu. Au bout d'un moment, après en avoir arraché un certain nombre, j'étais redevenue calme. Je n'étais plus au bord des larmes. J'avais retrouvé mon sang froid.
Certains disent qu'on passe sa vie d'adulte à se remettre de son enfance.
Je ne sais pas si c'est vrai, mais certains jours, ça me semblait être le cas.
Ça vous arrive souvent de voir une fille pieds nus au bord de la route, debout sur une bûche, en train de jouer de la flûte traversière ?
Jamais. Ca ne vous arrive jamais.
C’est pour ça que mon attention s’est détournée de la tortueuse route de gravier pendant une fraction de seconde de trop, largement suffisante pour que les pneus de mon Audi rouge décapotable mordent le bord de la route, route sur laquelle, certes, je roulais bien trop vite.
Dix contre un qu'elles avaient déjà retiré tous les objets pointus.
Alors ... un stylo gel à paillettes arc-en-ciel, peut-être? Planté dans l'oeil?
Mais cela posait une nouvelle question ?
Jusqu'où étais-je prête à aller ?
Assommer ?
Paralyser ?
Mutiler pour de bon ?
Tuer, s'il le fallait ?
Clic!
Je m'agenouillai devant la boite. Grace à l'écharpe de fortune qui immobilisait mon épaule, je souffrais moins qu'au début. ou bien peut-être m'étais-je habitué à la douleur.
J'examinais le carton de près, sans y toucher. Il n'y avait pas d'adhésif; on avait juste coincé soigneusement les rabats entre eux; l'un par dessus l'autre. Je lui donnai une petite pichenette.
Qu'est-ce que c'était que ce bruit? Je me penchai au-dessus de la boite.
Un bourdonnement. Oui, c'était ça.
-Oh mon Dieu!
La Flute m'avait apporté mon téléphone! Je souris et murmurai:
-Je retire tout ce que j'ai dit sur cette petite tête à claques.
Je m'assis en dépliant les jambes pour caler la boite entre mes cuisses.
-Ne raccrochez pas! Ne raccrochez pas!
Je glissais mes doigts dans l'interstice entre les rabats et tirai. La boite s'ouvrit d'un coup libérant quatre abeilles furieuses d'y avoir été enfermées.
Deux d'entre elles foncèrent droit sur mon visage.
Je hurlai et les chassai de ma main valide. Je continuai de crier, d'abord parce que mes gesticulation hystériques m'avaient provoqué de nouveaux élancements à l'épaule; mais très vite, ce fut parce que l'une d'elles venait de me piquer la main.
D'un coup de pied, j'envoyai la boite au loin et m'écroulai à terre, puis je roulai sur moi-même et rampai en geignant jusqu'au mur. Je me redressai suffisamment pour m'asseoir, adossée au mur, jambes tendues.
J'avais été piquée.
Je ne savais pas exactement ce qui allait se passer. La seule fois ou une abeille m'avait piquée, j'étais bien trop petite pour en garder le moindre souvenir. Mais quand j'avais dix ans, alors que je me plaignais de mon bracelet d'alerte médicale, ma mère m'avait sermonnée: : "Tu as failli mourir ce jour-là. C'est la seule fois ou j'au vu ton père pleurer."
"Ça vous arrive souvent de voir une fille pieds nus au bord de la route, debout sur une bûche, en train de jouer de la flûte traversière ?"
Dix contre un qu'elles avaient déjà retiré tous les objets pointus.
Alors ... un stylo gel à paillettes arc-en-ciel, peut-être? Planté dans l'oeil?
Mais cela posait une nouvelle question ?
Jusqu'où étais-je prête à aller ?
Assommer ?
Paralyser ?
Mutiler pour de bon ?
Tuer, s'il le fallait ?